mercredi 9 février 2011

Les Folles

Djelfa, place du marché (1983)

Voilà
parfois des silhouettes plus ou moins voilées, ou des corps enguenillés traversaient la place en poussant des cris stridents, se tapant la tête ou se frappant la poitrine. Il arrivait aussi qu'elles se déplacent par petits groupes de trois ou quatre criant de concert. Il demandait alors à sa mère ce qui était arrivé à ces femmes, pourquoi elles hurlaient de la sorte. Ce sont des folles, lui répondait elle laconiquement. Des folles.... Les folles.... Folle, avant d'être un adjectif avait d'abord été pour lui un nom commun désignant une déploration déchirante et gesticulante, un corps caché dissimulé sous des tissus et qui, de façon imprévisible s'avance dans le désordre de la douleur, éructant une langue rauque pour invectiver le ciel et aussi tout ce qui vient à sa rencontre et capable, du moins le craignait-il alors, de bondir et brutaliser l'enfant qu'il était. Il y avait quelque chose d'effrayant dans cette puissance désespérée — chagrin et colère mêlés — qui lacérait le silence intérieur où, quelle que fut l'heure du jour, il avait coutume de se réfugier lorsque la réalité lui semblait par trop incompréhensible, et qu'il croyait de la sorte tenir à distance le danger toujours présent. C'était la violente incarnation du malheur qui s'approchait comme une menace. Un malheur dont il ignorait la cause mais qui le prenait aussi à témoin, sans qu'il ne sache pourquoi, et qui parfois malgré la distance, paraissait le toucher. Il y avait sans doute du vrai dans cette impression car il sentait aussitôt la main de sa mère se crisper sur la sienne, et comme s'il s'agissait de s'arracher à l'envoûtement possible qu'elle aussi peut-être redoutait, elle l'entraînait précipitant le pas. Folles mais qu'est ce que cela voulait dire ?  Naissait-on comme ça ? Cela n'arrivait-il qu'aux femmes ? Y avait-il un lien avec ce qui se passait ici ?   Était-ce dû à la rudesse du climat à quelque chose qu'on attrapait dans l'air ? En rapport avec l'odeur des gens d'ici ? La nourriture ? Ce n'est que bien des années plus tard qu'il envisagea que peut-être elles avaient perdu un fils un frère un mari, tué par les français, et que là précisément, dans cette souffrance se trouvait la cause possible sinon probable de leur errance.
première publication 9/2/2011 à 13:11

8 commentaires:

  1. Bonne nuit le môme
    ;-)

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  2. Une histoire qui fait un peu peur, surtout pour un enfant. Je ne connais pas Djelfa. Je suis allée à Alger plusieurs fois, et aussi à Béjaïa, Tipaza, Cherchell, Médéa et autres ainsi qu’à Boufarik quand je travaillais avec les forces aériennes algériennes. C’est un grand pays.

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  3. I imagine it's horrible for kids-- everywhere. Sad.

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  4. That's lovely (in a way, but I mean the view point from the child then the understanding - like The mafia only kill in Summer or whatever that movie was called).

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  5. Amazing how a smell or taste or sound can transport us to another time. Beautiful photo.

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  6. A lovely photo. Thank you for linking up.

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