dimanche 24 novembre 2024

Pêle-mêle en forme de bilan

 

Voilà,
cette fresque se trouve dans un café à l'angle de la rue Littré et de la rue de Vaugirard. J'ai pris la photo il y a quelques jours. Je l'avais aperçue, à travers la vitre de l'établissement il y a un peu plus d'un an, alors que je marchais à la nuit tombante, un soir d'Octobre, dans un état second, les yeux embués de larmes. L'idée m'avait effleuré qu'il faudrait que je revienne un jour la photographier, mais cela m'avait aussitôt paru stupide et absurde. Je venais d'apprendre la nature du mal sournois qui affectait ma fille. J'étais en état de choc. Le sol se dérobait sous mes pas, plus rien n'avait de sens. L'avenir s'ouvrait comme un gouffre. J'étais effrayé à l'idée de la perdre. 
Je l'avais appris de son médecin généraliste qui tenait l'information du spécialiste vers lequel elle nous avait envoyé et que nous allions rencontrer le lendemain ma fille, sa mère et moi. J'avais pris ce rendez-vous pour savoir les questions que nous pouvions poser au médecin, dans la mesure où ma fille était une très jeune adulte, et que l'annonce lui serait adressée en notre présence. J'avais déjà dans l'idée que cela ne serait pas très fameux. 
Dans son cabinet où elle m'avait accueilli après son dernier patient de la journée, elle s'était permis cette entorse à la déontologie, sans doute pour amortir le choc du lendemain. Je lui suis reconnaissant de cette délicatesse.
Je ne raconterai pas la journée qui a suivi. Elle est inscrite dans ma mémoire dans ses moindres détails. Tout au plus puis-je dire que c'était une radieuse journée d'octobre. La lumière était belle au parc Montsouris où j'étais venu marcher tout seul avant l'entretien.

 
Je ne parle pas non plus des mois qui ont suivi ,qui furent parfois éprouvants. Il m'arrivait dans ce blog de faire allusion à ce que j'éprouvais. J'en concevais autant d'envie que de réticence car après tout ce n'était pas "ma" maladie. Mais j'étais en souffrance, et il me fallait tout de même trouver un exutoire. Les mots ne m'étaient pas d'un grand secours, tout me semblait dénué de sens. Certaines images par leur fabrication m'ont apaisé. Elles sont encore là comme des talismans. Je n'oublie pas les nuits, rongées par la peur et l'incompréhension. L'hôpital, les cheveux de ma fille qui tombent, son crâne nu, sa fatigue, les effets secondaires du traitement, mais aussi son élégance, sa dignité dans l'adversité. Nos promenades quasi quotidiennes. La plupart de mon temps lui était dévolu. Je n'en continuais pas moins de prendre des photos. Mais parfois, lorsque je me retrouvais seul, je n'étais plus qu'une plaie ouverte.


Les nouvelles du monde étaient si affligeantes, que je n'écoutais pas la radio, évitais la télévision. Il y avait le cinéma, les expositions pour faire diversion. Quelques vieux ami.e.s m'ont témoigné du soutien. Certain.e.s sont apparu.e.s. Ils se reconnaîtront, s'ils me lisent. D'autres se sont défilés avec plus ou moins de délicatesse. Il y a eu des petites lâchetés. D'êtres qu'on pensait proches, on espérait des gestes simples qui ne sont jamais venus. Il en est même un qui s'est comporté de façon ignoble. C'était certainement le plus intelligent de tous, le plus vaniteux aussi. Comment ai-je pu à ce point me tromper sur certaines personnes ? 
 
 
Ma fille s'est rétablie. "Vous pouvez reprendre votre vie d'avant" lui a-t-on dit un jour. Depuis elle la croque à belles dents. Ces derniers mois elle n'a cessé de voyager en Europe. Aujourd'hui, je suis un peu apaisé. Soulagé, sans pour autant être rassuré. Je prends parfois la mesure de la catastrophe à laquelle nous avons échappé. Je ne suis ni heureux ni malheureux, dans une sorte de brume intérieure un peu comme cette image. Je parviens difficilement à reprendre le cours ordinaire des jours. Oui j'ai refait l'acteur, participé à quelques projets, je socialise un peu. Mais une part de moi est toujours absente, ailleurs, en retard, à côté, en marge, en catimini. Aujourd'hui par exemple, je suis resté chez moi, en pyjama, alternant lectures, radio, scrolling débile sur mon smartphone et sieste. Je suis comme un instrument désaccordé. La mélodie du temps qui passe sonne un peu faux. J'essaie encore de comprendre le monde où je vis, comme hier, mais je n'y parviens pas. Et puis à quoi bon ? Même quand j'écris, j'ai plus l'impression de m'éloigner de moi-même que de m'en rapprocher.

1 commentaire:

  1. I am moved deeply by your explanation of the many dark hints in your blog posts over this year. It was clear that you suffered some terrible blow, and were worried about your daughter, which is always the most concerning life event for a parent. It’s a relief to know that finally you have had some good news, and I wish you good luck with a return as much as possible to normal — or at least a new normal.
    best, mae at maefood.blogspot.com

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