jeudi 4 avril 2024

Calmer la fièvre

 
Voilà,
en février 1942, Stefan Zweig poste à son éditeur le manuscrit "Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen" tapé par sa femme. Le lendemain le couple se suicide. Le livre, paraît en 1943 à New York. Commencé en 1934 après que son auteur a fui la persécution nazie, d'abord en s'exilant en Angleterre puis vers le Brésil, il décrit avec nostalgie la Vienne et l'Europe d'avant 1914 : une Europe insouciante, traditionnelle, conventionnelle, artistique, à l'apogée de sa richesse et de sa puissance dont Zweig fréquentant Freud, Verhaeren, Rilke ou Valéry, est un témoin privilégié. C'est l'évocation nostalgique d'une époque de stabilité et de liberté d'esprit, un  "âge d'or de sécurité" qui va s'effondrer avec les deux guerres mondiales et la disparition des monarchies européennes. En bref, selon l'auteur, la mort d'une civilisation qui avait pourtant une bien grande confiance en l'avenir. 
Zweig, ça l'a un peu démoralisé cette affaire. Il a donc préféré le véronal aux charmes de la nostalgie sous les tropiques.
Bien sûr, il n'avait pas prévu que la civilisation européenne se survivrait encore un peu grâce aux États-Unis ce surgeon monstrueux qui préserva l'Europe de la destruction et assura sa protection durant quatre-vingt années. Mais aujourd'hui, rongé par la gangrène de l'argent et celle de la religion, cette nation de sauveurs agonise. Ses institutions tout comme ses infrastructures prennent l'eau. Sa population majoritairement empoisonnée par la junk food les opioïdes et la libre circulation des armes à feu, abrutie par la pensée évangéliste et les blockbusters semble n'avoir d'autre alternative pour les prochaines élections que de devoir choisir entre un vieillard sénile et un psychopathe narcissique inculte et dément. Et si elle a déjà pu mesurer les ravages dont est capable ce dernier, elle semble néanmoins désirer s'en remettre une fois encore à lui. L'intelligence, l'humanisme, l'invention, l'audace qui pouvaient parfois se manifester dans ce pays semblent être devenus minoritaires. Et la puissance américaine a désormais fait long feu.
Et voilà que notre vieux continent héritier de tant d'Histoire, se retrouve sans tutelle à nouveau au bord de l'effondrement. Ici aussi les populistes débiles reprennent du poil de la bête. Sous nos latitudes, des connards de toutes générations et d'un calibre assez redoutable se disputent le pouvoir. Les peuples se replient sur eux, les égoïsmes nationaux et les revendications identitaires gagnent comme de la mauvaise herbe. Je ne sais pas si c'est dû aux perturbateurs endocriniens, à la médiocrité des programmes de télévision durant les cinquante dernières années, au naufrage du système scolaire, ou à quelque virus non identifié, mais la connerie semble avoir gagné un terrain considérable. Bref rien n'incite vraiment à espérer que le salut viendra de l'occident pour faire face aux défis qui s'imposent à l'humanité. Et les phrases de Zweig résonnent de nouveau terriblement. "Peu à peu, il devint impossible d'échanger avec quiconque une parole raisonnable. Les plus pacifiques et plus débonnaires des amis que j'avais toujours connus comme des individualistes déterminés s'étaient transformés, du jour au lendemain, en patriotes fanatiques. Toutes les conversations se terminaient par de grosses accusations. Il ne restait alors qu'une chose à faire : se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que durerait la fièvre."
Même si je suis accablé de devoir finir mes jours dans un tel chaos, je retourne faire du vélo du côté du bois de Boulogne. Le vélo c'est tout de même un de ces menus plaisirs d'enfance auquel on peut s'adonner en relative sécurité dans ces parages — du moins je l'espère — quand on vieillit. Je regarderai les lourds nuages au-dessus de la fondation Vuitton — ce joyau d'architecture — en songeant que malgré tout la lumière est belle.  
On nous dit que bientôt la guerre va s’étendre sur l’Europe entière, que rien n’arrêtera la folie de Poutine, que c'est une question de mois. Il faut bien constater que jamais les dirigeants de la Russie n'ont été aussi belliqueux et les déclarations de certains d'entre eux font frémir. Et ce qui advient en outre dans un sud qui n'est pas si lointain, juste de l'autre côté de la méditerranée n'incite guère à l'optimisme. Chacun là-bas a de bonne raison de haïr l'autre avec une frénésie qui confine au délire. Nationalisme, religion, volonté génocidaire réciproque tout est bon pour perpétrer de grands massacres qui à chaque fois font oublier le précédent. Là aussi, la poudrière s'enflamme, et risque de s'étendre.
Ainsi vont les choses dans le meilleurs des mondes possibles...

10 commentaires:

  1. Beautiful architecture. These are indeed very scary times. I try to remain an optimist, but it gets harder and harder.

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  2. I love the image. As for us--- you have described us quite well. Personally, I don't think Joe is senile. But I'd vote for a chimpanzee over the other guy.

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  3. Superbe photo de la fondation Louis Vuitton!

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  4. Tucked on the other side of the globe, I greatly enjoyed your writing! A very beautiful photograph as well!

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  5. L'illusion de la montagne au loin, au-dessus des arbres est parfaite, ainsi l'illusion de ceux qui tentent de croire encore que le monde peut vivre en harmonie.

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