jeudi 19 janvier 2012

Un documentaire (Et aussi des commentaires)


Voilà,
je pensais à ça en passant devant la caravane de Madame Ranah la voyante de la place Denfert Rochereau. A cette histoire de film, de comment j'ai vu ce film, qui continue à me travailler. Et les questions sur ce que signifie voir, regarder, recevoir, prendre et comprendre... l'image, le son, le corps.... et l'histoire aussi... et le rapport à l'histoire, pas la narration, mais l'Histoire... comment un corps peut être assimilé à une époque (je ne parle pas des corps d'idole et des canons de beauté).  Quelqu'un - qui ne me connaît pas et que je ne connais pas physiquement, c'est le miracle d'internet on partage par écrit des questions et des doutes avec des inconnus - m'a dit que les gens parlaient comme ça, comme cette femme dans ces années là. Et moi tout à coup je me suis dit que, pour les gens qui ont des trucs à dire  aujourd'hui, j'étais d'un autre monde, d'un monde de choses périmées. Il faudra que je demande à C.C. (ah ! ce sont les mêmes initiales que ma fille) si je peux rapporter ses propos en ligne.  A.M. qui aime bien commenter les œuvres, et a un certain talent d'écriture écrire a bien accepté que je restitue son point de vue :
"La première chose qui m'a sauté aux yeux ou plutôt aux oreilles, c'est la voix et le débit alambiqué, tout en distance et pourtant incarné, de cette femme, débit presque flottant au-dessus de sa phrase, totalement irréel et constituant à lui seul, à mon sens, le détour. Ensuite j'ai remarqué une tension sexuelle affolante, entre cette femme et son ami ? son fils ? Une tension toute en suggestion, sinon ce ne serait pas une tension, mais fortement dérangeante. Est ce que tu me suis ? Ensuite une cigarette qui est fumée mais allumée seulement à la dernière scène. Enfin cette description hallucinante, quasi délirante de choses vues ou dites mais absentes pour le spectateur, à commencer par la description des couleurs d'un film noir et blanc. Ce qui m'a beaucoup intéressée ce sont des phrases qui traduisent en profondeur le mécanisme de la création, et pas seulement de la photographie : "il est toujours préférable de travailler avec le négatif de l'autre", "Une photographie personnellement pornographique mais publiquement décente", "c'est moi ou ce n'est pas moi, il ne faut pas poser la question", "un corps que je suppose le mien", "on ne sait jamais, passons "  Des phrases qui relèvent d'avantage de l'histoire de la photographie et qui viennent renforcer le caractère troublant de la scène "mon père à cet âge-là, je lui faisais confiance". Et surtout : "Le réel est imaginaire et l'imaginaire est réel". Ce film assume totalement la démence du créateur, jusqu'à l'appuyer de façon caricaturale dans des descriptions de paysages qui seraient des garages et des commodes et des soleils. Ça dit beaucoup de ce qu'est la création artistique et de ce qu'elle nécessite en perdition ou en démence, je ne sais pas le dire. Est ce que cela te semble trop caricatural ?" Cette amie a aussi ce qu'on appelle l'esprit d'escalier. Quatre heures plus tard (entre-temps elle a lu le post intitulé "Retouche"), elle précise " Par rapport à jeter un sort et à fasciner, j'ajouterai ceci "Mais les dieux ne sont pas des machines qui tirent des ficelles et qui pèsent le sort de chacun" P. Vidal-Naquet, Préface de l'Iliade. 
Mais comme l'escalier  de Ariane Mo. compte parfois plus de marches qu'elle ne l'imagine, elle me renvoie ceci, insistant pour que je publie cet addendum :
"la granularité vient dire le prisme du réalisateur. Mais est-ce de l'art dont il est venu nous parler ou de la folie ? Une chose est dérangeante ou témoigne d'un dérangement. Cette femme ne revient pas à la réalité après avoir créé. Elle semble toujours dans son imaginaire inversé du réel, dans son réel seulement constitué d'imaginaire. Quand elle parle de ses photos elle ne parle pas de comment elle les  faites, elle n'a pas de recul, elle continue d'être habitée par son processus de création ; elle est incarnée, ne pouvant plus se détacher de son geste. Le réel constitue pour elle une rive opaque qu'elle ne peut atteindre. Peut-être est ce pour cela que j'ai parlé de sa voix comme d'une distance incarnée. Elle est distante avec le réel, sa voix détourne l'objet du film, comme pour rendre compte du détournement de cette femme avec elle même. Elle est celle qui ne peut nommer son écart. Il n'y a pas de distance entre son imaginaire et son réel, pas d'opposition, pas de ramification donc pas de correspondance, pas de passage. Elle incarne la distance au réel, elle s'est distanciée du réel. Si créer est proche de la folie, cela ne supprime pas le réel. Cela s'y mêle parfois à s'y méprendre. L'art ouvre les vannes, vient créer en soi les conditions d'un éclatement, d'une déroute d'un déséquilibre, mais il contient un revenir, un retour. Il ne se substitue pas au réel. Pour devenir, l'artiste doit tenir son fil du revenir. Il s'agit de tomber, de creuser, de chuter, de plonger dans l'acte de créer qui est lui même diffus, mais il s'agit de revenir, de creuser l'écart entre le fantasme et le réel. C'est un emprunt, pas une seule confusion. Si l'artiste supprime la réalité, s'il perd sa capacité à objectiver, à différencier, à séparer ce qu'il est de ce qu'il fait de ce qui est de ce qui n'est pas etc... nous touchons effectivement à la folie. Il me semble que créer c'est naviguer entre le réel et l'imaginaire, c'est pouvoir naviguer, pas voyager. Naviguer en soi, en dehors de soi, en dedans. Si l'imaginaire s'empare du réel, si le réel ne dit plus rien de lui même, et si l'imaginaire n'est qu'une fonction détournée, alors effectivement nous sommes dans la folie. L'art est l'expression d'une folie, il contient la folie, il la détient, il l'approche, la traduit, il est à l'extrême limite, mais n'est pas une folie. Ce film ne montre qu'un seul prisme. Voilà pourquoi il me semble que cette caricature permet à l'auteur de donner un regard sur la création artistique mais surtout sur la folie. le regard du réalisateur penche mais ne se relève pas. cette femme parle de ce qu'elle a produit, de ce qui est passé, avec la même intensité que si elle était en train de le faire, ne donnant aucune ombre ou transparence à sa position." 
Bon là je ne comprends pas tout, et peut-être A.M. se laisse-t-elle aller à parler d'autre chose qui est hors cadre, hors champ et qui sait peut-être d'un autre film mais je la remercie pour son attention et cette généreuse contribution.

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