Voilà,
j'ai au cours des années accumulé sur ce blog, des fragments, des brouillons, et même programmé de nombreux textes, en plus de ceux qui ont déjà été publiés. Certains jours j'ai la tentation de puiser là-dedans pour les mettre en ligne. Mais je m'aperçois alors qu'ils sont d'une noirceur, d'un pessimisme, et parfois même d'un désespoir tout à fait indécents. C'est surtout l'accumulation de ces sombres pensées et le ressassement devant quelque chose que tout le monde sait, tout en feignant de l'ignorer, ("on va vers le pire") qui me terrifie. Je suis donc ainsi ? j'en suis arrivé là ? Je ne crois donc plus en rien ? Enfin s'il ne s'agissait que de ça, je pourrais m'en accommoder. Suis-je donc cet être morbide et surtout lugubre ? Où est passé mon humour, mon mauvais esprit ? Il y a vraiment un clivage entre l'être parlant que je suis et celui qui écrit. J'aime plutôt déconner, dans la vie courante. Quand je fais l'acteur, j'ai plutôt tendance à chercher le comique d'une situation ou d'un texte. Au théâtre la tragédie m'exaspère. Les pièces de théâtre que j'ai écrites étaient certes d'un humour assez noir, mais elles avaient le mérite d'être drôles et distrayantes. Je ne comprends pas pas pourquoi, tout est si sombre dans ces billets.
Bien sûr vieillir n'aide pas. C'est chiant de sentir qu'on s'approche du bord. On compte ses douleurs, tout est plus laborieux, on laisse passer des fautes d'orthographe, on a du mal à trouver ses mots, on retrouve plus les noms, on ne reconnaît pas les visages, on cherche ses lunettes, quand t'es un mec, pisser n'est plus un acte léger et désinvolte, tu deviens forcément plus prudent, tu t'accroches à la rampe de l'escalier, tu ne cours plus après les bus, tu comptes de plus en plus de morts parmi tes connaissances, les conversations avec les gens de ta génération sont souvent casse-couilles parce qu'inéluctablement vient un moment ou l'on parle de la santé, tu as des médicaments dans toutes les pièces, tu perds tes dents tu perds tes cheveux. Quand il fait chaud la chaleur t'accable. Avant quand tu allais au cinéma dans la journée il n'y avait que des jeunes, maintenant que des vieux, comme toi. Tu es de plus en plus distrait. Après avoir quitté l'appartement te voilà sans certitude. As tu bien fermé, as tu éteint l'ordinateur ? Pourquoi n'as tu pas pris le chargeur de téléphone ? Tu as parfois des réactions que tu aurais qualifiées de réflexes de vieux cons en d'autres temps devant la bêtise arrogante et l'ignorance de certains jeunes gens. Tu ne connais plus les chanteurs à la mode, tu ne te rends pas compte que quand tu regardes les filles dans la rue tu n'as plus leur âge et que tu pourrais passer pour un vieux pervers. Parfois tu croises des vieilles copines que tu reconnais à peine tant elles ont changé — il y a longtemps vous échangeâtes vos fluides — et elles t'annoncent toutes guillerettes qu'elles sont grand-mères et que c'est vraiment formidable. La nuit il t'arrive de rêver que tu interceptes le ballon, que tu fais une belle percée et que tu aplatis entre les poteaux et tu te réveilles perclus de rhumatismes. Tu enrages souvent de ne pas pouvoir être suffisamment en forme physique pour aller manifester ta colère contre ceux qui gouvernent et te joindre aux émeutes. Une grippe te fait flipper, les tâches ménagères te sont de plus en plus pénibles, tu procrastines souvent et t'exaspères pour pas grand chose. Ce que tu as déjà dit ou écrit, tu ne t'en souviens pas toujours, autrement dit tu radotes, et si tu es chez toi tu fais de trop longues siestes et après une journée dehors tu as besoin de piquer un petit roupillon à peine rentré.
En fait c'est ça le problème. Ce n'est pas d'être pessimiste quand on l'a toujours été. C'est d'être vieux et qui plus est, pessimiste par ces temps de grand désastre rampant. Le problème c'est de devoir s'apprêter à un horizon misérable dans une civilisation autodestructrice et agonisante et de ne pouvoir espérer laisser un monde meilleur à son enfant. Et puis le temps manque pour faire tout ce qu'on souhaite entreprendre. L'énergie décroît autant que l'intérêt que l'on suscite au regard des autres. Heureusement il y a toujours des enfants qui, dans la rue chantent "il pleut il mouille c'est la fête à la grenouille". Non que cela soit rassurant, mais l'émotion persiste tout de même en entendant par hasard une vieille comptine. (Linked with weekend reflections)