Voilà,
je voulais écrire un billet sur le mode de celui que j'ai rédigé le mois dernier qui se serait intitulé "un mois d'Août sur la terre". Mais à quoi bon tout ça aujourd'hui ? J'ai préféré laisser tomber. Personne ne veut s'entendre rappeler ce genre de truc. La plupart des gens préfèrent qu'on leur donne, au mieux, des motifs d'espérer, au pire, qu'ont les distraie, qu'on les anesthésie, qu'on leur promette du bon temps, qu'on ajoute un peu de couleur dans le quotidien. "Faisons comme si ça n'existait pas, et peut-être que rien n'arrivera". Et puis un jour c'est ta maison qui brûle, ton puits qui est asséché.
Je le publierai peut-être plus tard, si je suis encore de ce monde, à contretemps, en décembre ou en février, ou en mars ou à la Saint Glinglin, histoire de voir tout ce qu'on aura oublié dans les mois qui viennent, car, comme on dit, une nouvelle chasse l'autre.
C'est donc la rentrée. La fin des grilles d'été sur les radios. De nouveau, les habituels animateurs avec leur vulgarité, leurs certitudes de gens bien en place, leur connerie assumée. Heureusement, il reste encore la matinale de France Musique, sobre, élégante, où le présentateur n'est pas démangé par le prurit de l'autosatisfaction ni accablé d'egomanie aigüe comme son voisin de France Culture.
Sinon, comme tous les ans, les opposants politiques, les syndicalistes, sont remontés. "On va voir ce qu'on va voir, on ne laissera rien passer. La rentrée sera chaude". Enfin non ça ils ne le disent plus, ça ne serait pas du meilleur effet, vu ces derniers temps de canicule.
Chacun joue son rôle. C'est toujours plus ou moins le même casting. Même les gilets jaunes font désormais partie du décor. Ils vont reprendre leurs manifestations hebdomadaires à ce qu'il paraît. A chaque fois, c'est la même rengaine.
Cet été j'ai rencontré une amie que j'ai connue autrefois chercheuse, et qui s'investit à présent dans la lutte politique. Elle m'a un peu raconté comment ça se passait dans le syndicat où elle est minoritaire, et ça m'a déprimé. Toujours les mêmes histoires de pouvoir, de luttes internes, de fractionnisme, de divergences sur les moyens d'action. Ça m'a rajeuni. C'était déjà pareil il y a cinquante ans. Elle prend ça très à cœur. Grand bien lui fasse. Elle n'est sûrement pas au bout de ses peines.
Je pense au Liban, au marasme dans lequel, depuis des années se trouvent ses habitants. Face à la corruption généralisée et l'incompétence des gouvernants, il y a eu des colères, des révoltes collectives il y a deux ans. Et puis c'est retombé. Les gens n'y croient plus, ils sont épuisés. L'humain a une grande capacité d'encaissement. Une grande disposition à la servitude aussi. Les deux tiers de l'humanité sous-vivent dans des conditions insupportables (je ne sais pas pourquoi on s'acharne à dire survivre).
Ça me rappelle cette exposition que j'avais vue un été à Avignon.
Il y a quelques mois, j'avais d'ailleurs entrepris une recherche à ce sujet. J'en avais éprouvé la nécessité à cause de tous ces gens, des intelllos pour la plupart, qui
nous bourraient le mou avec le nouveau monde, le monde de demain, le monde
d’après qui serait forcément mieux, parce qu'on serait guéri, qu'on avait trouvé un vaccin sur le point d'être commercialisé, et qu'évidemment, tous les autres problèmes avaient comme par miracle disparu. C'était vers le mois d'avril 21 je crois. On nous promettait le retour "des jours heureux". En France des gens occupaient des
théâtres. Ils souhaitaient que tout recommence comme avant mais en mieux, alors
que rien dans les faits ne laissait augurer du "mieux", c’était évident, mais bon "les faits ne pénètrent pas dans le monde de nos croyances".
C'est alors que j'avais repensé à cette installation de photos d’Afrique
dans laquelle on déambulait avec un casque diffusant un texte en relation avec chacune des 49 photos. En fait cela avait été présenté en 2013 — je pensais ça plus récent —. Ce spectacle-exposition, ce
parcours théâtral et photographique s'intitulait "La porte du non-retour", œuvre de Philippe Ducros un auteur et photographe québécois. En
fait cette déambulation m’a beaucoup marqué et je crois que d'une certaine façon elle me hante.
J'imaginais d'ailleurs que ce serait facile d'en retrouver des traces sur le net. Mais, bien qu'ayant
plutôt une bonne mémoire, j'ai eu du mal. D'abord je pensais que cet événement avait eu lieu
à la fondation Lambert, et non rue Violette à l'école d'art. Je me souvenais de séquences vidéo et non de
photos. Je pensais que cela ne concernait que le Congo Kinshasa, à cause
d'un plan — une photo — de l'hôtel Apocalypse à Kinshasa. Comme quoi,
il faut immédiatement noter les choses qui vous importent avant qu'elles ne se déforment dans la pensée.
Il y avait en tout cas cette phrase "La fin du monde n’est pas à la même heure pour tout le monde". L'auteur postulait grosso modo que la fin du monde a déjà commencé et que les Africains en sont en quelque sorte les premiers protagonistes. Ils
sont les premières victimes des trafics, de l’absence d’infrastructures, de la pollution, des guerres ultra violentes qui s’y déroulent depuis des
années et qui comptent déjà plus de morts que celle de 14-18 en Europe. Je renvoie à cet excellent article qui rend compte du projet de Philippe Ducros. Et je crois qu'il existe aussi un livre avec les textes et peut-être les photosBref, cette longue digression, pour rappeler combien, lutte ou pas lutte, on aura du mal à se sortir le cul des ronces. Il est probable que nous soyons amenés à encaisser de plus dures périodes sans trop broncher. Nous avons ici, en Occident, pour l'instant, une relative marge de confort eu égard aux standards africains ou de certaines régions d'Orient, du Moyen-Orient ou d'Asie. Rien ne dit que cela va durer. Les sécheresses, les canicules, les baisse de matières premières, les mauvaises récoltes, la guerre et un possible désastre nucléaire à nos portes, l'inflation galopante, la réduction des services publics (santé, éducation culture, recherche) nous font soudain prendre conscience de la précarité de ce confort. Mais il semble que, pour réagir collectivement, nous ne soyons pas encore dans la conscience collective du seuil critique. Le capitalisme et le néolibéralisme, ont encore assez d'armes puissantes et abrutissantes pour anesthésier les masses, et leur donner l'illusion que la fête peut encore durer. Je souhaite me tromper bien sûr. Après tout, au Royaume-Uni où de nombreuses grèves s'étendent, les leaders syndicalistes prônent la désobéissance civile non violente. Je ne suis pas pour autant certain que cela suffise.
Demain pour changer on parlera un peu moins d'écologie, et un peu plus de morale ⸮
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