dimanche 26 décembre 2021

Vieux fantômes et résolutions

 
Voilà,
comme ces derniers temps, j'ai rapatrié tous mes posts sur un disque dur, il m'est arrivé de relire quelques uns d'entre eux. Je me suis donc aperçu qu'en fait, depuis plus de dix ans je radote, je ressasse, je raconte les même conneries,  je récrimine contre les mêmes absurdités, je traîne les mêmes vieux fantômes,  je tente d'exorciser les mêmes vieilles angoisses.
Ceux qui ne me connaissent pas personnellement doivent penser que je suis sinistre, alors qu'en fait je suis plutôt un gros déconneur, en compagnie. Bon c'est vrai que je fuis de plus en plus la société et que mes occasions de faire le mariole deviennent plutôt rares, mais quand même. Les différents confinements y sont bien sûr pour quelque chose, mais pas seulement. J'ai toujours été assez casanier, et je le suis de plus en plus. C'est comme ça quand on a longtemps été enfant unique. On se suffit à soi-même. On se raconte des histoires tout seul, ou bien on trouve du plaisir à écouter des choses instructives à la radio. Mais bref, là n'est pas la question. Dans ces deux mille billets, il y a quand même parfois d'assez jolies choses, surtout dans les premières années, qui rétrospectivement m'étonnent. Je ne pensais pas être aussi inspiré à l'époque. Je parle de la formulation, du style. Oui, il y a des trucs pas mal. Parfois. Le problème, c'est juste l'accumulation des idées noires. La vision sombre de la réalité. Et la répétition.
Cela dit, je ne me suis pas vraiment trompé, car la situation générale ne va vraiment pas en s'améliorant, c'est le moins qu'on puisse dire. Je n'en tire aucune vanité, j'aurais préféré cent fois me tromper. Mais il y a aussi des fois ou le pire peut prendre des formes inattendues. La crétinisation massive des élites de droite ou de gauche ça je ne l'avais pas vu venir. Du moins pas à ce point. Les ravages de l'inculture croissante, non plus. La bigoterie croissante en France que ce soit les catholiques les musulmans ou les juifs, ça non plus je ne l'avais pas imaginé. Que les fachos de toutes espèces se rassemblent derrière un juif sépharade xénophobe, chantre du grand remplacement et témoignant de la reconnaissance à Pétain, au point d'en faire leur candidat pour l'élection présidentielle, ça aussi c'est pas mal. Que les gens continuent en France d'être aussi cons, quand on a vu les ravages causés par Trump aux USA, quand les italiens se sont décidés à chasser les néo-fascistes qui ont pitoyablement gouverné quelques unes de leurs grandes villes, quand les pays du nord reviennent à la social démocratie, tout cela explique amplement que notre emblème soit un coq, cet animal qui chante tous les matins sur un tas de fumier. Sans doute qu'on ne veut pas croire aux erreurs des autres. On veut expérimenter les siennes propres. 
Si désormais je dois encore m'attarder sur l'actualité, il faudrait que je le fasse avec un peu d'humour, puisque de toute façon je n'y peux rien changer. Finalement, des posts que j'ai écrits, les plus intéressants sont évidemment ceux qui ne rendent pas spécialement compte de la réalité extérieure, sociale, politique, écologique. 
Puisqu'au début je n'avais pas beaucoup de lecteurs, il est probable que l'année prochaine, je republierai de temps à autre quelques billets, dont je pense qu'ils gagnent à être vus ou lus. Ce que j'ai d'ailleurs un peu commencé ces dernières semaines. Certaines photos anciennes, ont alors pu être vues et appréciées. Les textes les accompagnant, ne référaient qu'à la photo sans aucun lien avec l'actualité.
J'ai, en outre, constaté que, lorsque l'image était un collage ou un photomontage, ça ne suscitait pas beaucoup de réactions. Ça m' a un peu attristé, parce que je les aime bien moi mes collages, même les très vieux, réalisés avec des ciseaux et du papier, au siècle dernier. Au temps où on n'imaginait même pas internet, ni les gafa, — on imaginait d'ailleurs même pas l'association de ces deux syllabes — ni les smartphones ; au temps où Picard Surgelés était un truc nouveau et intéressant, lorsqu'il n'y avait pas des algorithmes à la con pour me suggérer d'écouter tel ou tel disque, quand le monde était plus lent, et moi plus vif, bref quand j'étais jeune, que le temps ne m'était pas compté et que je pouvais alors me permettre d'en perdre beaucoup.
je jette tout ça un peu pêle-mêle, dans le désordre, parce qu'en ce moment je n'ai pas les idées très claires. Je glande considérablement. Cela fait longtemps que je ne n'ai pas pris de photos intéressantes. Celle-ci date de 2006, je crois, peu après la rénovation du Petit-Palais.

jeudi 23 décembre 2021

Les eaux tumultueuses de la Garonne

 
Voilà,
on ne peut mettre de garde-fou sur tous les ponts pensais-je appuyé au parapet tout en contemplant, non sans un certain vertige, les eaux tumultueuses de la Garonne. Une pluie d'été déversait ses trombes sur la rive que nous venions de quitter. C'était un temps de répit. La vie normale reprenait son cours. Le virus se faisait oublier avec l'été — pourtant peu prodigue en soleil et en chaleur — mais continuait de circuler à bas bruit. Tout en déplorant mon incapacité à m'abandonner à de plus futiles pensées, je ne pouvais cependant m'empêcher de songer à certaines recensions humiliantes que nous impose parfois la décrépitude du corps, ni à la furtive et contrariante sensation ressentie quelques jours auparavant au Jardin Public où j'étais venu me promener en compagnie de ma fille.

*
 
Sinon, pour concéder à l'actualité, mon partenaire de scène a contracté le covid. Comme nous ne jouons que deux fois par semaine, si je dois l'avoir attrapé, c'est dimanche soir. Vu notre proximité je ne vois pas comment j'aurais pu y échapper. Ou alors je dispose encore de beaucoup d'anticorps. C'est aussi très possible. Me voilà donc de nouveau confiné, attendant d'en savoir un peu plus. Je crois que je n'aurai pas longtemps à attendre. Comme j'ai été contaminé, en février et vacciné en Juillet, l'idéal serait que je l'attrape et qu'il ne soit pas trop virulent. Ça me permettrait d'éviter une dose de rappel dans l'immédiat. De grosses bouffées de chaleur me submergent, un peu mal à la tête et beaucoup de douleurs rhumatismales. Si ça s'arrête là c'est O.K. Ça me donne au passage une putain de bonne excuse pour ne pas foutre les pieds dehors pendant ces fêtes. J'ai de quoi lire et relire. Par exemple les nouvelles de Robert Sheckley que je n'avais pas ouvertes depuis 1985, lorsque nous travaillions sur une création collective sur l'utopie. Avec mon camarade Dominique Gras on avait essayé d'injecter de la contre-utopie dans le projet en utilisant quelques une de ses nouvelles. En vain. On travaillait avec un metteur en scène et un dramaturge très intellos qui s'astiquaient le jonc sur un livre de Lipovetski qui s'appelle "L'ère du vide". Du reste notre spectacle ne fut pas un franc succès. On passait plus d'heure à discuter qu'à occuper le plateau. Ce metteur en scène est mort cette année. Que le Grand Autre ait son âme, lui qui était lacanisé jusqu'à la moelle. Je ne sais si Lacan fut un grand psychanalyste comme d'aucuns le prétendent, mais c'était un sacré cabot qui a fasciné au cours de ses séminaires un grand nombre d'intellectuels dans les années soixante-dix. 
Mais je m'égare. J'en étais à Sheckley, que je me réjouis à retrouver et dont certaines nouvelles évoquent des situations tristement contemporaines. Façon tout à fait convenable de mon point de vue de régresser. Je me souviens d'un Noël lointain que j'ai passé au premiers temps où j'habitais cet appartement. J'avais lu l'intégrale d'Ivanhoé de Walter Scott, et c'était bien. Je crois que je vais me faire quelque chose dans le genre, allumer une guirlande clignotante écouter des Christmas carols par le King's college choir, ou le string quartet numéro 2 op 41 de Schumann, qui est une des œuvres les plus apaisantes que je connaisse (je l'ai beaucoup écouté à une époque, vers la fin des années 90 au début des années 2000), ou le quatuor en do mineur opus 12 de Schubert, ou l'andante du premier sextet à cordes de Brahms.... Oui relire des livres faciles, peut-être même des bandes dessinées, et ça ne sera pas plus mal.
Ce matin, très tôt en me rendant au labo pour subir un test PCR — il y avait un monde considérable  — j'ai remarqué que cette année, aucune guirlande lumineuse n'ornait la rue Daguerre pour Noël.

samedi 18 décembre 2021

Mais il y a toujours quelque chose qui m'échappe (7)

 

Voilà,
ça me revient
lorsque j'ai vu tout au fond de la salle de cinéma "le Louxor", avant que ne commence la projection, cette femme solitaire en train de s'atteler à ses mots fléchés, et sans doute séduit par sa robe colorée, j'ai, songeant aussi qu'il y aurait peut-être dans cette image quelque chose qui pourrait évoquer Edward Hopper, discrètement déclenché mon smartphone. J'ai eu raison. En plus c'est vraiment un coin du monde.
 
Ça me revient
c'était en 1991, lors de la première guerre du Golfe, alors qu'elle était  sur le point de s'achever, la fois où le géniteur a dit devant la télévision "ah j'aimerais vraiment y être". J'ai alors compris, que toute ces histoires de défendre le drapeau, l'honneur la civilisation ou je ne sais quoi, c'était vraiment des conneries, que ce qui excitait vraiment les guerriers, c'était l'adrénaline, l'odeur de la poudre, qui laissait une empreinte définitive dans le corps

Ça me revient
la boîte en fer blanc des cigares "Panter" que fumait parfois mon grand-père, et que j'allais chercher en vélo chez Malardeau le buraliste de Saumur où il avait ses habitudes

Ça me revient 
la fois où j’ai pris un pot avec Philippe Faure, place de la Madeleine et qu'il m'avait fait remarquer que j’étais habillé très à la mode parce que j'avais emprunté un genre de sarouel qui appartenait à la Primevère, ce qui constituait pour moi une sorte de futile audace, inhabituelle mais cependant bienvenue.

Ça me revient
la chanson "Education sentimentale" de Maxime le Forestier que ma cousine surnomme Maxime le foxterrier pour déconner. Je me souviens que Dominique m'avait dit qu'elle la trouvait quand même un peu cucul. C'est vrai qu'on a des faiblesses à seize ans. Mais les images mentales que suscitaient cette chanson je ne les ai pas oubliées j'ai toujours seize ans
 
Ça me revient
La plage au bord du lac d’Hourtin où ma fille fit sa première marche sur de sable. J'ai toujours pensé que ça serait bien d'y passer des vacances d'été, mais je ne l'ai jamais fait.
 
Ça me revient
Eric Doye mettant Yma Sumac très fort dans sa loges du TGP lorsque nous y jouions Cymbeline de Shakespeare
 
Ça me revient 
la boulangerie Poujauran rue Jean Nicot ou j’allais avec ma moto chercher du pain et où il était possible de trouver ce gâteau qu'on appelle pastis landais
 
Ça me revient : La revue systeme D, la revue des bricoleurs dans les années 60
 
Ça me revient
au jardin public de Bordeaux alors que je m’y promenais avec ma fille, la désagréable sensation l'été 2021 concernant ma mobilité , et puis courant août ces problèmes de vue.
 
Ça me revient
à une certaine époque j'écoutais souvent à la maison la première sonate de Brahms, ma fille devait avoir trois, quatre, ou cinq ans. Si je me souviens bien, on l'entend en arrière plan dans un film où je l'interroge sur un dessin qu'elle est en train de fabriquer
 
Ça me revient
un bouquiniste à l'accent marseillais dont la boîte se trouve non loin de l'Institut m'a fait découvrir Lennie Tristano
 
Ça me revient
à Parentis-en-Born, un mât surmonté d'une couronne de laurier tricolore se dressait devant la maison du député maire André Mirtin
 
Ça me revient 
il y avait un disque de Randy Weston chez les Tiry.
 
Ça me revient
mon père possédait des vieux soixante-dix-huit tours dont l'un de Duke Ellington sur lequel était gravé "In my solitude"
 
Ça me revient 
que l'intitulé de mon devoir de français à l'épreuve du BEPC, que j'ai passée rue d'Alésia, était "S'informer est notre premier devoir"
 
Ça me revient
avoir passé fin 1988 la Saint Sylvestre dans un hôtel particulier de l'avenue de Villiers, vide, à part le matériel pour diffuser de la musique et des tables pour manger et boire, parmi des gens pour la plupart plus jeunes que moi, très bourgeois, et souvent assez cons, et y avoir rencontré un jeune type qui ressemblait déjà à un vieux, très imbu de lui-même, qui m'avait dit qu'il serait un jour président de la république, et j'avais opiné du chef en disant que "ma foi c'était une fort belle ambition", tout en pensant intérieurement que ce mec était vraiment une truffe. Bien des années après, j'ai appris que j'avais été en présence d'un homme qui, était devenu un leader politique des années 2010 et au passage un remarquable petit trou du cul très imbu de lui-même. Plus tard il est tombé sur plus retors que lui, et s'est fait en outre rattraper pour quelques malversations et combines frauduleuses. Mais il est toujours maire d'une petite ville d'Ile-de-France et continue de disposer de tous les avantages d'un ancien député.
 
Ça me revient
lorsque j’étais enfant j’ai vu au cinéma de Biscarrosse-Bourg, dans le cadre d’une sortie scolaire un documentaire en noir et blanc sur Valparaiso où je n’irai jamais, et je me rappelle qu'il était question d'un funiculaire

Ça me revient
ce soir là où je n'avais pas eu très envie d’aller à une soirée vers le canal Saint Martin et que j'avais éprouvé cette sensation entre la déprime et la flemme, qui nous fait nous demander si ça vaut le coup, si on va vraiment passer un bon moment, finalement je m'étais dit "Non, je suis aussi bien chez moi", de toute façon je m'étais fait larguer quelques semaines auparavant, j'étais pas en forme, j'avais commencé à regarder un match de foot chiant à la télé puis j'étais allé m'endormir....

Ça me revient
le premier concert classique que ma fille a vu était dans une église en Bourgogne, à Bois Sainte Marie le 2 Août 2019 avec Les Maubert, les Guillebon. Je ne me souviens plus du programme, il y avait du Schumann en tout cas mais je me rappelle que le pianiste était Nelson Freire disparu le 1 novembre de cette année

Ça me revient 
j’ai découvert la salade tomate mozarella chez Philippe et Dominique. Je me souviens aussi des foies de volailles en gelée que préparait Dominique

Ça me revient, 
dans un train qui pourtant m’emporte en automne vers Lille, des descentes de Châteaudouble à Draguignan l’été pour y faire des courses et surtout des pâtes fraîches qu’on achetait chez l’italien et aussi le détour par la piscine de Draguignan avant de remonter au village.

Ça me revient 
mais il y a toujours quelque chose qui m'échappe

dimanche 12 décembre 2021

Encore un homme qui dort

Voilà,
cette photo a été prise en juin dernier, rue des cascades dont j'ai déjà parlé ici et là. Il y a des quartiers où des rues dans Paris, qui sont les terrains de prédilection de nombre de muralistes, celle-ci en est une. Par sa thématique, ce dessin collé sur un mur reflète une triste réalité parisienne à laquelle il est difficile d'échapper tant elle touche de gens. J'en ignore l'auteur. A côté se trouve une affiche où sont écrits de médiocres bouts rimés qui disent à peu près ceci 

Monsieur regardez j'viens de trouver un chocolat 
j'vous jure là, juste là
A croire qu'il n'attendait que moi 
qu'il était posé sur mes pas
 
C'est un beau jour monsieur
j'suis à deux doigts de faire un vœu 
de m'souhaiter encore mieux
savez pour moi c'est pas heureux
 
un chocolat c'est not'canar
quand il y en a c'est les grands soirs
n'en trouve pas beaucoup su'l trottoir
putain j'vous jure peux pas y croire 
 
Et pourtant Monsieur 
ce chocolat est-ce que t'en veux
on a un bébé qu'est pas au mieux
j'fais ça c'est pour nous deux 

comme la dernière strophe est illisible et en partie recouverte, je suppose, peut-être à tort, que l'auteur du dessin collé et celui du poème sont différents.  

*
 
Je rédige ce post bien à l'abri chez moi, en écoutant Jean-Pierre Changeux, un grand neurobiologiste français, raconter dans un entretien son rapport à la musique. Il évoque son milieu familial, modeste  — une mère standardiste et un père employé de la compagnie du gaz, mais tous deux catholiques — et que c'est grâce aux chants grégoriens que lui est venu l'amour de la musique. 
Je pense à ma fille. 
je me demande ce que je lui ai transmis d'essentiel, au fond.
Dehors il pleut.
J'ai tant de choses à faire. 
Et encore trop de contraintes. 
shared with Monday murals

mercredi 8 décembre 2021

Hors-Jeu

 
Voilà,
ce n'est pas simplement que je vieillis. Cette lassitude, cette fatigue a sans doute d'autres raisons. Le monde m'épuise, son spectacle, ses bavardages, ses rumeurs. L'aveuglement au désastre dont font preuve nos dirigeants, l'impuissance, l'indifférence ou le cynisme qu'ils manifestent face à la situation écologique qui réclame autre chose que des demi-mesures, m'affligent.
Il semblerait qu'aucune leçon n’ait été tirée de la crise récente provoquée par la première vague de covid. L’ultralibéralisme qui ne sait fonctionner qu’à flux tendus nous impose des hausses de tarifs pour avoir du gaz, de l’essence ou de l’électricité. Le prix des matières premières et de certaines denrées alimentaires flambe, en raison de l'épuisement des ressources et des sécheresses dues aux dérèglement climatiques. Les villes continuent d'être saturées par des embouteillages où les voitures sont de plus en plus lourdes, plus volumineuses et toujours aussi peu remplies. Suite au confinement généralisé qui a mis en relief les aberrations de l'économie globalisée, on aurait pu supposer une prise de conscience à l’échelon mondial, de la nécessité d’un ralentissement, mais au contraire, on se précipite pour compenser ce qui aurait été perdu lors des confinements. On s'acharne à produire plus, à rattraper le taux de croissance que la crise a fait baisser. Un penseur contemporain Byung-Chul Han, considère que "ce que nous nommons la croissance aujourd’hui est en fait une excroissance, une prolifération qui détruit l’organisme social. D’une vitalité inexplicable et mortelle, ces excès métastasent et prolifèrent à l’infini. Arrivée à un certain stade, la production devient destructrice. Ses pouvoirs destructeurs produisent non seulement des catastrophes écologiques ou sociales, mais aussi des catastrophes mentales." A partir de ce constat il élabore et développe le concept de thanatocapitalisme. 
 
Et pendant ce temps là, les personnels soignants qu'on a vraiment pris pour des cons, ces dernières années en France, désertent nos hôpitaux, par fatigue, par lassitude de se sentir méprisés. Alors on ferme le peu de lits qu'il reste dans ce pays parce qu'il n'y a plus suffisamment de personnel hospitalier. Rappelons juste les chiffres : en 1981 il y avait 392 641 lits d'hôpitaux pour une population de 56 millions d'habitants en 2018 il y avait 243 200 lits pour 67 millions d'habitants. Pourtant, il semblerait qu'une majorité de la population s'apprête à voter pour des politiciens qui vont continuer cette politique de dégraissage de la fonction publique et de privatisation de ce qui relevait ces soixante dix dernières années du bien commun (Santé, Éducation, Culture, Justice). C'est à n'y rien comprendre. Comment ne pas repenser à cette réflexion — datant pourtant de 1576, et malheureusement toujours d'actualité — d'Etienne de La Boétie, dans son "Discours de la servitude volontaire" : "Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu'il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté, qu'il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien et si volontiers, qu'on dirait à le voir qu'il n'a pas seulement perdu sa liberté mais gagné sa servitude". 

Je devrais m'en foutre puisque je suis hors jeu, passé un peu plus dans la catégorie des improductifs. Je gagne encore vaguement ma vie. Je continue parfois de faire l'acteur,  — un peu. Il me semble cependant que rien de ce que j'accomplis, de ce qui m'a permis de survivre n'a encore de sens dans la réalité où je me trouve. D'ailleurs les gens viennent de moins en moins au théâtre, en tout cas celui que je pratique, qui a encore quelque prétention artistique. Est-ce la peur, la flemme, l'accoutumance à la claustration, l'absence de curiosité ? Ou peut-être les gens ont ils juste envie de s'amuser. 
Hier je suis passé devant la Nouvelle Eve, il y avait une file d'attente pour assister au stand-up de quelqu'un qui semble très populaire auprès d'un public jeune. Du monde, il y en a aussi à l'approche des fêtes, dans les magasins bondés, et le récent "black friday", coutume consumériste importée d'outre Atlantique il y trois ou quatre en France, confirme cette soif de consommation.
 
C'est un monde étrange que celui qui prend forme sous nos yeux. Il est possible que la réalité ait, aux personnes âgées, toujours semblé confuse et quelque peu énigmatique. Mais l'hyper-information propagée par le web, rend plus vive encore, et aussi plus absurde, la perception de ce qui nous entoure. Je me sens parfois comme ces passagers d'un autre temps contemplant à leur insu un futur qu'ils ne peuvent soupçonner.

dimanche 5 décembre 2021

Le Beau-Père

Voilà, 
les amateurs de vins bordelais reconnaîtront la silhouette qui orne l'étiquette du "Clos du Beau-Père", un Pomerol à la robe sombre, que ses  créateurs qualifient de "généreux, riche, ample, avec des tanins boisés et de la structure" et qu'il est recommandé de garder en cave durant quelques années. Après des vendanges manuelles, un tri minutieux et une vinification faisant intervenir l'inox, le bois et le béton, le vin est élevé en barriques neuves pendant 18 mois dans un domaine qui couvre quatre hectares en propriété. Les vignes en occupent trois, d'un terroir dominé par des graves profondes, des graves argileuses et un sol sableux sur des argiles bleues. Comme partout dans la Rive Droite, le merlot domine, avec 90% de la surface qui lui est dédié, le reste étant planté en cabernet franc. Si le premier cépage a plus de 50 ans en moyenne sur les parcelles, le cabernet franc est plus jeune, avec un âge moyen de 30 ans en 2020. C'est à Saint-Emilion, où les propriétaires de ce cru disposent d'un point de vente, que cette photo a été prise. (Linked with Monday Mural)

jeudi 2 décembre 2021

Aphone


Voilà,
ce matin Jérôme Frontenac s'est réveillé aphone. C'est fou comme une simple phrase peut vous laisser sans voix, vous dévaster intérieurement, non seulement à cause de ce qu'elle dit mais encore en raison de tout ce qu'elle sous-entend. Il avait fait comme si c'était un détail sans importance. Peut-être même avait-il alors baissé les yeux. A quoi bon réagir, il déteste le conflit. Rétrospectivement il se faisait l'effet d'un pauvre type incapable d'inspirer le respect. En la circonstance la remarque était particulièrement indélicate et malvenue. Les excuses n'y pourraient rien.
Bien sûr il aurait pu penser que c’était un accident, un geste d’humeur un acte manqué, dû à l’épuisement, à une certaine panique et que cela ne s’adressait pas directement à lui, que c’était juste parce qu'il était là. Mais c'est sur lui, précisément que c'était tombé, pas un autre. Simplement parce qu'il avait fait une proposition qui ne semblait pourtant pas prêter à conséquence.
Pendant la nuit il a retourné ça dans sa tête. Dressé des listes, émis des hypothèses. Parfois les gens se trahissent et passent des messages qu’ils ne parviennent pas à formuler. Ça faisait mal. Il fallait bien se rendre à l'évidence, ça suggérait nombre d'éventualités qu'il n'était pas certain d’avoir envie d'admettre. Mais l’événement, c'en était un, tellement imprévisible — semblable à une gifle silencieuse — sans cesse appelait les questions. 
Que devait-il comprendre ? Qu'il coûtait et qu’en même temps il ne valait pas beaucoup. Ou bien que quelque chose de lui, coûtait mais qu'il comptait pour peu. La nuance était mince. Ou bien ne donnait-il pas assez ? Ou voulait-on lui faire payer pour quelque chose qu'il devait trouver tout seul ? Une faute, une négligence ? Cela voulait-il signifier "cela me coûte trop de partager avec toi" ? Était-ce une façon de solder tout ce qui avait été déjà partagé ? Au regard de la somme alors le tout ne valait pas grand chose.
Il avait toujours détesté, les rébus, les charades, les devinettes. Il n'avait pas envie d'être à cette place. Ça le rendait triste. Parfois les fantômes vous rattrapent, et c'est toujours le même vieux linge qui sèche au fil du temps. Il s'est souvenu du titre d'un livre assez populaire dans sa jeunesse. "Éloge de la fuite". Il n'y avait pas d'autre choix. Après tout, chaque partie ferait ainsi l'économie de ce que cela lui coûtait. Et basta, ils en seraient quittes.