jeudi 29 avril 2021

Nouvel perspective

 
 
Voilà,
une nouvelle perspective sur l'Avenue de France dans cette partie du treizième arrondissement où les architectes s'en donnent à cœur joie depuis l'édification de la nouvelle Bibliothèque inaugurée en 1994. C'est un îlot de modernité qui a surgi dans ce vaste périmètre rénové du sud-est de Paris, entre les voies ferrées de la gare de Paris-Austerlitz, la Seine et le boulevard Périphérique. Cette tour de 180 mètres de haut, est la plus haute du projet Duo conçu par les ateliers de l'architecte Jean Nouvel, qui laisse son empreinte sur le paysage parisien. En effet on lui doit aussi l'Institut du Monde arabe (1987), la Fondation Cartier (1994), le Musée des arts premiers Jacques Chirac au quai Branly (2006), et la Philarmonie de Paris en bordure du parc de la Villette (2015). J'aime bien ce nouveau quartier avec sa vaste avenue, divisée par un terre-plein central où ont été aménagées des pistes cyclables. En temps ordinaire par ici se côtoient de nombreux étudiants qui s'attardent aux terrasses entres leurs cours puisqu'un pôle universitaire se trouve aussi dans les parages, dans l'ancien site industriel des Moulins de Paris. 

mercredi 28 avril 2021

Les dernières péripéties


 
Voilà, 
au début, c'était il y a quelques semaines déjà, ça m'a paru étrange qu'il m'appelle comme ça, pour me dire qu'il était en dépression et qu'il prenait des médicaments. Il tenait à me prévenir m'avait-il dit. Bon. Habituellement il ne m'appelle pas souvent. Il a longuement causé ce n'est pas dans ses habitudes. Ordinairement il n'est pas du genre bavard. Il m'a expliqué que la cause de sa dépression était le fait d'avoir été, selon ses propre termes, "viré" de l'emploi à mi-temps qu'il avait repris après quelques années de retraite. Comme si on le mettait au rebut. Quelle idée aussi, quand on dispose d'une confortable retraite, de retravailler avec des connards (ça on s'en rend compte très vite pourtant),  plutôt que d'aller naviguer avec ses copains, comme il l'avait déjà fait autrefois. Ou se balader en moto. Ou voyager, se promener dans sa merveilleuse région équidistante de la mer et de la montagne. 
 
Et puis les téléphonages se sont répétés. Quelques semaines après, il m'a informé qu'il avait aussi rompu une longue liaison qui durait depuis un quart de siècle et encore qu'il envisageait un vague projet immobilier ; et enfin qu'il recommençait à racheter des disques de sa jeunesse, Neil Young, Steve Stills, Zappa... Pour ma part, il m'est déjà si difficile de me débarrasser de toutes les choses inutiles qui m'encombrent... Cela m'a paru bizarre. Son tropisme de collectionneur semblait donc reprendre le dessus. Et puis il a aussi évoqué sa récente découverte de Monteverdi, m'envoyant même un SMS le lendemain pour m'informer qu'il écoutait "Vespro della beata Virgine" avec ravissement. Ça par contre c'était totalement nouveau. Cela faisait quand même beaucoup d'informations d'un coup pour moi, toutes ces décisions peut-être hâtives.
 
Un peu plus tard, il m'a annoncé qu'il avait décidé de revendre son appartement dans la petite ville de province où il vit, pour s'acheter une maison non loin et que l'affaire était en bonne voie. En même temps je regardais sur Google street view, oui ça avait l'air bien, tu pourras venir a-t-il dit.
 
La semaine dernière, il m'a laissé un autre message où il était question de me raconter les "dernières péripéties". "Et il y en a eu" ajoutait-il. Je n'ai pas rappelé immédiatement. J'étais moi-même sous le coup de certaines contrariétés. Pour tout dire je n'avais pas la force d'être attentif. Et puis il y a eu ce curieux SMS avant-hier matin "j'ai déjeuné, je suis lavé appelle quand tu veux". Il est de plus en plus bizarre en ai-je conclu. Je ne l'ai pas fait, ça pouvait bien attendre un peu. Finalement, hier j'ai décroché quand son nom s'est affiché sur le portable. Là il me dit tout de go que ça se passe bien à l'hôpital. Il m'annonce qu'il a un cancer sur lequel il demeure assez évasif, quelque chose de relatif aux voies digestives. Il doit faire une chimio ; il attend le résultat d'une biopsie supplémentaire. Et puis du coq à l'âne comme pour ne pas s'appesantir, il me parle des disques qu'il a encore achetés par internet. Je suis interloqué, je ne pose pas de questions, j'essaie juste de remettre un peu d'ordre dans ma tête car le fait qu'il me raconte tout ça comme si j'étais déjà au courant", me déconcerte. Je finis par lui dire que j'ai sauté une étape que je ne savais pas qu'il était à l'hôpital, cela ne paraît pas l'étonner. Il a dû beaucoup parler et à de nombreuses personnes ces derniers temps, et peut-être pensait il m'en avoir déjà fait part. Il va se battre répète-t-il d'un ton monocorde, qui semble ou se veut dénué d'affect, plaisantant même sur ce parent commun qui vécut fort longtemps, mais qui chaque fois qu'on lui demandait "alors comment ça va ?" répondait "ma foi, je survis doucement"
Depuis hier, je suis assailli de pensées confuses. Un peu en état de choc. Je redoute que sa situation ne se révèle plus grave que ce qu'il veut bien laisser entendre. Et tout cela est si soudain.

 
Alors je me répète qu'il faut vivre, chercher l'harmonie, la paix, la beauté, le bonheur. Obstinément. Inventer, découvrir, fureter pour être surpris, se surprendre soi-même. Obstinément. Casser les codes, les habitudes. Obstinément. Faire de ses gouffres des puits de lumière, de ses terreurs des fantaisies. Se détourner des idées sombres et des pensées morbides. S'immerger dans la musique, les couleurs, les senteurs douces, goûter des saveurs insolites. Dessiner, peindre, photographier. Partager ce que je porte en moi de meilleur.
S'accorder à la lucidité d'un pessimisme joyeux alliée à la sérénité d'un hédonisme paisible. Ce qui est certes un peu contre ma nature, je le concède. 
Mais tout semble si fragile, si précaire. Mon corps aussi donne parfois quelques signes de fatigue qui me déstabilisent. J'essaie de ne pas y penser, même si désormais je dois me résoudre à compter les années à rebours.
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lundi 26 avril 2021

Mais il y a toujours quelque chose qui m'échappe (4)


 
Voilà
ça me revient, 
les puces de la place des halles où fut achetée une belle étagère en fer forgé pour la nouvelle maison, le froid polaire et la neige un certain mois de février à Pornic, le chorizo pour accommoder le saumon, l'été au bord du golfe de Propriano, les porcelaines chinoises de la fondation Gulbenkian, un fish & chips le soir dans un restaurant de Londres, les nuits accablantes de chaleur à la résidence universitaire d'Avignon, l'expression "c'est délicieux" et "les papillons dans le ventre", le char à voile à saint Brévin, le bungalow au fond du jardin, la pose des livres dans les étagères de la bibliothèque, la visite du musée Caillebotte le jour de mon anniversaire, l'exposition Braque un premier Janvier au Grand Palais, Het Land Nod de FC Bergman, la Fontaine Wallace et la valise à roulettes, l'apparition si convaincante d'une femme déguisée en garçon, ce concert dans un temple protestant de la rue Saint Honoré, "La parisienne" chantée avec humour et conviction, la merveilleuse piscine de la maison de Villeneuve-les-Avignon, les concerts de musique classique aux Bouffes du Nord, les cheveux toujours ébouriffés, comment fut repeinte ma salle de bains, l'addiction à Downton Abbey, la fontaine de la place des fleurs, de sang froid les nuits blanches et les archives du rêve, les fruits exotiques sur la table de la cuisine, la promenade au bois de Meudon, le choix de l'épuisement plutôt que celui de la joie, ce rire sonore reconnaissable entre tous, les apéros sur la terrasse en fin de journée, la baignade au Gardon, la fondation Miro, Gaudi et la plage de Barcelone à la nuit tombante, la découverte du "glacial", "Elle et lui" de Leo Mac Carey qui n'aura jamais trouvé son moment, deux belles balades en vélo le long du canal, les grattages du dos, l'arbre étrange dans la cour, l'installation du nouveau plancher, la maison de l'armateur au Havre et le port de Honfleur, les deux petites tasses jaunes offertes sans raison particulière, une incroyable performance vocale de lalah Hathaway diffusée par l'autoradio sur une route de nuit, les regrets qui succèdent à l'incompréhension, attendre la marée haute, la découverte de la petite crique de nudistes, cette veste d'intérieur synthétique imitant la laine de mouton, mais il y a tant de choses qui m'échappent

dimanche 25 avril 2021

Par quatre chemins

 

Voilà 
je n'irai pas par quatre chemins, un seul est déjà si difficile à suivre.
Ce qu'il me reste désormais de promenade est effroyablement court.
Le jour commence à tomber et je n'en finis plus de trébucher.
(linked with Monday Mural)

vendredi 23 avril 2021

Visage de pierre


Voilà,
la pierre me tance. Je m'en accommode. Absorbé dans mes pensées, je marche sans but mais non sans préoccupation. Je sais pourtant que la pierre est là. Qu'elle me guette. J'entends sa question. Où donc est passée la joie ? Il se peut qu'elle ait fait escale dans un autre port. C'est ma réponse. Je ne suis pas certain d'y avoir mis la conviction requise. Peut-être même n'ai-je pas choisi les bons mots. Je n'en ai pas d'autres, n'y songeons plus. Quelque chose m'accable. Je me suis déshabitué d'un sol dur. Mais, lorsque je chemine, d'amples voiles se hissent dans la tête. J'ignore cependant quel vent me pousse. Mes vêtements usés me tiennent lieu de vaisseau. (Linked with the weekend in black and white)

jeudi 22 avril 2021

L'Eglise Notre-Dame-des-champs


 
Voilà,
lorsque je circule en vélo il m’arrive souvent d’emprunter la rue de la Gaîté puis de traverser le Boulevard du Montparnasse et de rouler quelques mètres sur le parvis de l’église Notre-Dame-des-champs, avant de rejoindre la rue Stanislas dans le bon sens  pour me permettre d’accéder au boulevard Raspail. Chaque fois que je passe sur ce parvis une réminiscence ressurgit. C'était en 1973 ou 1974 je ne sais plus, ou peut-être en 1975, un festival de rue se tenait sur le boulevard Montparnasse et soudain sur ce parvis un jour de printemps m'est apparue, vêtue d’une cape noire, se guidant avec une canne blanche, une silhouette la face dissimulée par un masque neutre. A l’époque c’était très à la mode les masques neutres surtout dans le théâtre amateur ⸮ C’était une performance de théâtre de rue je crois. Je ne me suis pas attardé. Sans doute allais-je à la rencontre de la primevère
Cette église me rappelle aussi un dimanche matin où, après un acide pris dans ma chambrette de la rue Saint Placide avec les amis de Londres, j'étais rentrés dans l'Eglise en pleine descente de trip, avec Olivier Nottale qui, en désaccord avec le sermon du prêtre, voulait absolument lui porter la contradiction, en pleine messe. J'avais eu beaucoup de mal à le convaincre à voix basse que, vu notre état, il n'était peut-être pas nécessaire de nous faire plus remarquer, après quoi nous étions sortis, pour errer sur le boulevard à la recherche de cigarettes et de croissants. Cette église, sans grand charme, où je ne pénètre pas souvent, continue cependant de me hanter, sans doute aussi à cause de cet événement apparemment anodin — une clé oubliée rue du Montparnasse — dont je sais qu'il fut déterminant par la suite, dans le tour que prit ma vie.
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mercredi 21 avril 2021

L'Afrique fantôme

 

Voilà
tentons une fois de plus le second degré, l'ironie, voire le sarcasme même si ces dernières catégories ne sont guère en vogue sur les réseaux sociaux et qu'il y a beaucoup de choses qu'on n'est plus censé y écrire. Mais comme je considère que mon faible lectorat n'est pas trop con, il saura faire la part des choses. Parier sur l'intelligence est une forme d'optimisme qui surprendra sans doute mes familiers. On a des faiblesses parfois. Et puis que ceux qui ne sont pas contents aillent se faire rissoler le fion en enfer. Cette photo est raciste, parce que elle a été pris par un mâle blanc et qu'elle met en scène des noirs et des objets de leur culture dans un lieu administré par des blancs. Cette photo n'est pas raciste parce qu'elle témoigne du colonialisme et de sa survivance cynique puisqu'on y voit des descendants d'esclaves contraints de garder les objets qui furent volés à leurs ancêtres. Cette photo est raciste parce qu'elle ne tient aucunement compte de la souffrance de l'homme noir et le réduit à un objet parmi ses fétiches. Cette photo n'est pas raciste parce qu'elle rend compte de la façon dont la pandémie nous métonymise et nous réduit à l'état de masques anonymes faisant de nous des objets moins parlants que des statues. Elle est raciste parce qu'elle constitue en-soi une barrière de domination. Elle n'est pas raciste puisque par le jeu des couleurs elle illustre la continuité entre l'homme (sapiens naquit en Afrique) et le monde des esprits. Elle est raciste parce qu'elle est un signe d'appropriation culturelle. Elle n'est pas raciste parce qu'elle dénonce une ségrégation structurelle et diffuse qui passe par le fait de ne pas permettre aux descendant.es des anciennes colonies de se ré-approprier leur histoire. Blablabla. Quoi qu'il en soit aujourd'hui le meurtrier de George Floyd a été condamné, et c'est une bonne chose. Mais pour un coupable avéré, combien de crimes impunis ?

lundi 19 avril 2021

Parmi tant d'autres choses


 
Voilà,
donc à la fin des vacances où j'ai — parmi tant d'autres choses — découvert la salade niçoise et le pan bagnat, au moment de se séparer on se jure de se retrouver. On s'échange les numéros de téléphone on se fait des promesses parce que c'est un temps où bien sûr il n'y a ni portable ni ordinateur on se dit "à bientôt" "à très vite" . Ce mois en Provence, c'était tellement bien, tellement intense qu'on n'a pas envie que tout ça reste sans lendemain. 
Alors début ou courant Septembre je me souviens plus très bien j'appelle Barbara et je lui demande si je peux passer. J'arrive donc dans l'appartement de la rue Madame. Elle m'ouvre, est là avec ses frères et sœurs. Elle me les présente. Mais moi, il y a un truc que j'ai pas compris en rentrant dans l'appartement. J'ai vu qu'il y avait des meubles précieux des vases chinois, enfin plein de trucs qui sentent le fric le luxe, et en même temps il y a ces PUTAINS DE PORTRAITS DU PRESIDENT MAO DANS CE PUTAIN DE SALON BOURGEOIS !!!! Je suis dans le sixième arrondissement, merde !!! et là il y a un truc que je ne comprends pas. En fait c'est seulement le troisième appartement bourgeois que je vois de ma vie à Paris. Le premier, c'est celui de la famille de mon copain de classe Eric, place St Sulpice, j'ai du y passer vingt minutes, oui bon, rien de particulier, c'est confortable, très meublé, ça sent un peu le rance. Il y a des bibelots, des rideaux défraîchis, aux murs des tableaux paysagers fleurant bon le XIXème siècle et des portraits de jeunes femmes d'un autre temps avec des  mantilles, le deuxième c'est celui des parents de ma première amoureuse. Je m'y suis fait peu à peu. Il est aménagé avec goût.  Peu de meubles. Beaucoup de livres. Des tableaux modernes sur les murs. C'est assez luxueux mais pas tape-à-l'œil. On mange dans la cuisine à la bonne franquette. Mais là dans cet appartement Mao, ça fait bizarre, un peu comme s'il y avait des portraits de Sade partout sur les murs de l'appartement de Finkielkraut. Bref, on se retrouve dans une chambre qui sent le shit, il y a Barbara, sa sœur D., I. petit frère, et A. la plus jeune qui passe par là. Il y a des piles de Charlie-hebdo, des numéros de "La cause du peuple" d'"Actuel", et d'autres feuilles de presse gauchiste ou alternative. On cause, je ne sais plus trop de quoi. A un moment, Barbara, qui est sortie de la chambre, me dit en revenant que son père aimerait me voir. Il m'attend dans on bureau. Il veut savoir qui je suis, bon je peux comprendre. C'est normal de savoir qui vient dans ta maison il m'accueille derrière son burlingue. Moi en face. On dirait un interrogatoire. Et derrière il y a toujours ces putains de portrait du président Mao. Il y en a partout c'est une manie c'est pas possible !  Donc lui, c'est un ami d'enfance de la mère de mon amoureuse. J'ai entendu parler de lui bien sûr. À 18 ans il a écrit un livre qui a été publié chez Gallimard. Dominique parlait toujours de lui comme d'un génie, et d'une certaine façon, si l'on considère les chose à présent, cela s'est révélé plutôt exact. Face à moi un type aux yeux clairs et aux cheveux ras. Une brosse courte presque militaire. C'est drôle. Je sais que maintenant il écrit des pièces de théâtre et qu'en même temps il est cadre dans une grande entreprise un truc comme ça. Il me demande si je connais la famille de Dominique depuis longtemps non je lui dis même pas un an. Il comprend que je fais partie de la bande d'ados qui était en vacances avec sa fille à Châteaudouble. Et puis un moment tout de go il me demande comme ça d'où je viens que font mes parents. Qu'est-ce que ça peut lui foutre pourquoi il me demande ça. Le métier de mes parents. Putain c'est vraiment embarrassant. Mais je vais pas mentir alors je lui dis. Militaire mon père est militaire. J'ai honte de ça. Parce que je déteste l'armée. C'est l'abêtissoir total. La machine à décerveler. Le truc auquel je veux absolument échapper. Parce que les ordres, la hiérarchie, la discipline, la soumission, l'esprit de troupe, l'esprit de corps, La défense de la nation, qui n'est jamais la défense de la nation, mais la défense des intérêts des riches, l'uniforme, toutes ces conneries dans lesquelles je vasouille depuis que je suis né, sans parler des trucs qui me hantent, des souvenirs des terreurs, vraiment j'en ai ma claque, plutôt crever que subir encore ça, j'y pense de plus en plus comment je vais faire pour y échapper, au service militaire, comment je vais sauver ma peau. Et là il me pose la question un peu humiliante. Il est officier ? Ah ouais putain parce qu'en plus il faudrait forcément qu'il soit officier. Non, que je dis il est adjudant-chef c'est un sous off, il est juste adjudant-chef. Je sens de la condescendance, ou c'est peut-être ma honte je ne sais pas. Mon père est un pauvre type, c'est comme ça que je le vois. En plus d'être un minable c'est un tueur. Toute mon enfance, j'ai croisé le regard d'un tueur mais lui là, le bourgeois de gauche je le regarde bien dans les yeux quand même. Et là derrière putain y'a Mao Avec sa tronche de cul. Ouais Mao m'a toujours fait penser à un cul. Et puis je vois tous ces vases chinois à tous ces objets précieux à la con. J'aurais envie de me lever et de balancer ça contre les murs de défoncer tout ça. Mais bon c'est l'ami d'enfance de Dominique, et Dominique c'est la mère de mon amoureuse, faudrait pas voir à déconner. Et puis quand même le mec il a une certaine autorité naturelle. Mais je comprends pas. Fils de militaire pourquoi pas, mais il faudrait que je sois un fils de la bourgeoisie militaire, c'est ça qu'il pense ?  Et ce n'est pas le cas mon gars je suis le fils d'un soudard. Je suis le fils d'un mec qui a fait l'Indo dans les rizières et l'Algérie dans le djebel. Un mec qui déteste les communistes les niakoués et les melons. Qui en a tué plein. Un mec qui est resté sept ans au même grade après l'Algérie parce qu'il ne s'était pas opposé au putsch des généraux. Qui a eu des sympathies pour l'OAS. Qui achète "Minute" l'hebdomadaire de l'extrême droite. Et moi, du coup, je lis "Minute" un journal facho aux chiottes. Un mec qui déteste les intellectuels de gauche. Qui lorsqu'il entend Lacouture ou Maurice Clavel à la télé cite Goebbels "quand j'entends le mot culture je sors mon revolver", mais je ferme ma gueule parce qu'il faut être poli. J'ose pas lui demander,  au grand bourgeois mais vous là c'est quoi ces conneries avec Mao ? Parce que bon attention, si je dégueule sur l'armée, je sens bien qu'il y a un truc qui déconne avec les chinois. Un peuple entier dont le destin est écrit dans un petit Livre rouge, et qui manifeste unanimement son soutien à son guide suprême comme ils disent, je trouve qu'il faut être assez con pour pas trouver ça louche. J'ai 17 ans, je ne suis pas très subtil mais quand même... Là pour moi c'est la confusion, je ne comprends rien, comment on peut avoir autant de thunes, habiter rue Madame dans le sixième arrondissement de Paris et avoir des posters de Mao, et c'est pas des posters de Warhol, parce que j'ai déjà lu des trucs sur Warhol à ce moment là. pour en savoir plus sur le type que à collé une banane sur la pochette du velvet. C'est des portraits avec des trucs écrits en chinois dessus. J'ai fumé mes premiers pétards trois semaines auparavant, mais au moins je comprenais pourquoi tout me paraissait bizarre. Là non. Le bourgeois là qui écrit des pièces de théâtre engagé sous un pseudo, il doit bien le savoir qu'il y a des camps de travail en Chine. Pasqualini a témoigné de ça à la radio, à la télévision. Son livre vient de sortir, on en parle, oui bien sûr surtout dans la presse bourgeoise conservatrice, mais on en parle quand même. Bon l'entretien dure un petit quart d'heure, et puis je retourne dans la chambre, des enfants, on fume un pétard et puis voilà, après je vais faire un tour au Luxembourg, et je rentre chez moi dans l'école polytechnique. Je mettrai des années à comprendre que les bourgeois, pour la plupart, savent très bien gérer leur contradictions. Ou peut-être que c'est juste une forme d'intelligence qui n'est pas forcément de classe, et dont je suis totalement dépourvu. Avec les enfants,on continuera à se revoir, un peu rue Madame, puis dans le quinzième, le premier endroit que j'ai vu où l'ascenseur arrivait directement dans l'appartement, très moderne, spacieux duplex baies vitrées... Après on s'est perdus de vue. Et puis les uns les autres on a grandi, suivi notre voie, mûri, plus ou moins facilement, et vieilli. Tous ces héritiers ont plus ou moins travaillé dans la culture. L'une est même devenue une actrice très talentueuse et vedette de cinéma. J'ai même appris que l'une des fille de I. est elle aussi actrice et qu'elle commence à avoir un peu de reconnaissance dans le métier. Le père, je veux dire le grand Auteur, la dernière fois que je l'ai vu, c'était à l'enterrement de Philippe. Il a fait un beau discours, très sobre, très émouvant, une adresse au défunt, qui se terminait par "A bientôt !". C'était il y a six ans et il est toujours de ce monde.
 
 
Quant à mon histoire, elle date du siècle dernier, à la fin d'un temps de prospérité, où l'on commençait tout juste à réaliser que si l'on y prenait pas garde le futur risquerait d'être assez pourri. C'était au temps du club de Rome, du premier choc pétrolier. Je ressemblais à cela. J'étais plutôt joli garçon, mais je ne le savais pas. Un peu sombre, un peu tourmenté. D'ailleurs deux trois jours après cette photo, et quelques semaines après l'entretien avec le grand auteur, et alors que les cours avaient commencé, je me suis tiré de chez moi. Je voulais m'enfuir, ne plus subir la soldatesque connerie familiale. J'avais une vague adresse d'un artisan qui travaillait le cuir. J'allais vivre ma vie. J'apprendrais un métier. Faire du cuir. Je devais être vraiment bien largué pour songer à de pareilles foutaises. Un avis de recherche a été lancé. Je me suis fais gauler par les flics du côté de Gardanne. Brigade des mineurs à Marseille. Je suis rentré en train de nuit entre deux pandores un peu cons qui roupillaient à tour de rôle pour m'avoir à l'œil. J'ai mal dormi. Quand ils me parlaient, c'était pour se foutre de ma gueule. On m'a retiré les menottes un peu avant Villeneuve Saint-Georges. Mon géniteur m'attendait à la gare. Quand je l'ai vu, il avait les yeux humides. Il m'a serré dans ses bras. Il a signé deux trois papiers, il  a remercié les deux képis quand ils sont partis. Pas moi. On est rentrés en taxi sans se parler. Je crois que c'est la première fois que j'ai pris un taxi parisien.

dimanche 18 avril 2021

Loterie

 

Voilà,
"les affaires comme l'industrie allaient de plus en plus mal, les entreprises étaient acculées à la faillite, beaucoup de magasins fermaient à jamais leurs porte et trouver un emploi, même sous-payé, devenait de plus en plus problématique. 
C'est alors que le gouvernement fit un coup double en lançant à grand tapage une loterie nationale dotée quotidiennement d'un même prix pour dix gagnants seulement : un emploi stable de fonctionnaires dans un des innombrables bureaux de chômage, ceux-là mêmes qui proliféraient un peu partout, à une cadence accélérée." (Jacques Sternberg in "188 Contes à régler") 


Cette boutique, rue de Seine qui devrait ouvrir courant 2020, ne verra sans doute jamais le jour. N'en reste que la peinture murale sur la palissade qui en protégeait la devanture durant les travaux (Linked with Monday Murals)

jeudi 15 avril 2021

Au pied des monocotylédones


Voilà,
cent mille, la barre des cent mille morts dues au covid a été franchie en France aujourd'hui. Cent mille morts, c'est aussi cent mille noms inconnus pour la plupart. Cent mille vies fauchées, cent mille existences avec des amis des proches des parents des enfants. Bien sûr il doit y avoir un bon paquet de crétin(e)s parmi tous ces disparus, c'est inévitable, peut-être même des irresponsables et quelques complotistes. Mais tout de même,  sans le sabotage du système de santé depuis vingt ans, le renoncement à la recherche scientifique, et les décisions incohérentes de l'exécutif pendant cette crise on aurait pu limiter les dégâts. 
Tu te souviens du temps où l'on n'imaginait pas que de telles choses puissent arriver sous nos latitudes, parce qu'ici c'était le monde moderne ?
A présent on annonce que 91 variants de ce virus ont été répertoriés en Amazonie, dont un, le P1, déjà nommé "variant amazonien" constituerait d'ores et déjà, d'après certains virologues, une sérieuse menace pour l'humanité. Que faire de ces nouvelles, et de toutes les autres, concernant l'épidémie, la crise sociale et économique qui se prépare ? 
Goûter le présent, même s'il est pauvre en joies et en plaisirs. "Il faut vivre il faut travailler et seulement travailler", comme le dit Irina dans "Les trois sœurs" de Tchekhov. 
Seulement travailler ? Peut-être pas, en ce qui me concerne. Marcher aussi, faire de l'exercice, traîner, rêver, vivre intensément chaque instant qui vient dans la mesure de mes moyens et du périmètre autorisé. 
Nous ne connaîtrons désormais plus de temps sans tourment ni menace.
Que faire ?
Tout prend désormais un caractère d'urgence. 
Je réalise que je dois saisir toutes les occasions de m'exprimer, de manifester que je suis vivant. 
Une photo, un collage, quelques mots. De toute façon je ne suis bon qu'à ça. 
Cela fait si longtemps que j'ai peur. 
Mais il y a ce problème. Pourquoi suis-je incapable d'être plus fantasque lorsque j'écris ? Pour quelle raison suis-je à ce point entravé avec les mots ? Pourquoi m'est-il donc si difficile de m'accorder au langage autant que de m'en affranchir ?
Lorsque j'écris je ne suis jamais au bon endroit. Je ne parviens jamais à faire le point. Parfois j'ai l'impression de me répandre. De ne parler que de moi. Alors je m'en veux. Si je tente d'être objectif, mon objectivité peut paraître sombre, pessimiste. J'essaie d'être factuel parfois, mais c'est souvent chiant. De temps en temps je m'efforce de prendre du recul, de la distance. D'analyser la situation. Je peux même m'arriver d'écrire des choses pertinentes. 
Et après ? What´s the use ?
Pourtant la connerie je la flaire bien, et de loin. Elle m'insupporte. Mais à quoi bon la dénoncer, elle se répand dans un monde où de toute façon je ne serai bientôt plus.
Parfois j'ai l'innocence et l'étonnement du rêveur égaré dans un songe. C'est là ma vraie nature. Je n'ai jamais bien compris la réalité. Elle m'est toujours apparue aussi énigmatique que confuse. 
Mais il m'arrive aussi d'avoir le regard de celui qui à cinq avait déjà vu à quoi ressemble un type mort et mutilé dans un fossé. 
Et qui se souvient de l'odeur. 
Et qui sait depuis longtemps que les mouches aiment se promener sur les plaies. 
Et j'ai alors l'impression d'avoir cent ans. 
A l'époque cela m'avait paru sidérant énigmatique effrayant et presque irréel. Mais ce que je trouvais alors vraiment bien plus triste c'était la fin du film "Crin Blanc", lorsqu'il galope vers la mer. Rien que d'y repenser ça me noue la gorge. Ce film racontait l'histoire d'amour entre un enfant prénommé Folco et un cheval ; une histoire sans mot une histoire d'instinct. Une histoire qui pourtant finissait mal : pour échapper au gardians qui le poursuivaient Crin-blanc s'enfonçait dans les eaux du delta avec l'enfant accroché à son dos. 
Je me souviens, ce film était projeté sous une de ces vastes tentes de l'armée à la batterie de Djelfa. Peut-être avais-je besoin de rendre cette fiction plus forte que la réalité dans laquelle j'étais immergé pour en conjurer ou refouler l'effroi qu'elle suscitait.   
Mais je me perds en digressions. J'ai de la fuite dans les idées.
Je voulais juste raconter que l'été dernier, à Bordeaux, lors de ce qui ne fut qu'une parenthèse entre deux confinements, à cet endroit sous ce ciel, alors que je me promenais au jardin public, léger, heureux d'être dans cette ville qui me ramène à quelques souvenirs d'enfance, j'ai songé que je refoulais trop ma fantaisie. Celle dont je sais si bien user, en certaines circonstances, lorsque je fais l'acteur par exemple. Celle qui surgit parfois avec mes clandestins, quand je ne réfléchis pas. Oui au pied de ces grands arbres, enfin plutôt de ces grandes herbes, puisque les palmiers sont des monocotylédones, je me suis fait une promesse que je n'ai toujours pas tenue.
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mercredi 14 avril 2021

Détails insignifiants


Voilà
"Jeune garçon, j'étais aussi innocent, aussi peu intéressé par les questions sexuelles (et je le serais resté très longtemps si l'on ne m'avait poussé à m'en occuper) que je le suis aujourd'hui, disons par la théorie de la relativité. Seuls des détails insignifiants attiraient mon attention (et même ceux-là, après qu'on m'eût fourni des éclaircissements précis), le fait, par exemple, que les femmes de la rue qui me semblaient les plus belles et les mieux habillées dussent précisément être mauvaises."
Franz kafka in "Journal"  

mardi 13 avril 2021

Mais il y a toujours quelque chose qui m'échappe (3)

 
Voilà,
ça me revient 
début octobre 2010, il avait fait beau, et ce jour là  — celui de la photo qui fait parler aux jardin des Tuileries, les gens en avaient profité pour faire le plein de soleil avant que l'automne n'arrive pour de bon et que les températures fraîchissent. Je ne sais si l'abandon de cette femme était feint, mais j'avais trouvé sa pose, à cet instant, parfaite. Elle semblait une statue classique, sans doute à cause de son profil, et je n'avais eu aucun scrupule à lui voler cette image, tant je la trouvais belle dans cette lumière.
 
ça me revient, 
au début des années dix, lors d'une lecture de "Gouverneur de la rosée" de Jacques Roumain, avoir été surpris par une soudaine et inattendue vague d'émotion qui aurait pu me submerger si je n'avais pas été précisément capable d'apprivoiser ce genre d'événement plutôt heureux pour un comédien d'ailleurs, pour peu qu'on ait un minimum de maîtrise. Rester juste au bord du sentiment permet de nua    ncer l'interprétation.
 
ça me revient 
les villas de vacances des stations balnéaires qui s'appelaient Do Mi Si La Do Ré, et dont les notes étaient inscrites au fronton des maisons

ça me revient
pendant mon enfance on parlait à la radio d'un homme politique qui s'appelait Valdécrocher et je trouvais ce nom très rigolo et sujet à plein de plaisanteries. Ce n'est que bien des années plus tard que j'ai compris que le Secrétaire général du Parti Communiste Français de l'époque s'appelait en réalité Waldeck-Rochet
 
ça me revient
enfant j'étais fasciné par les gens qui taillaient leur crayon avec un canif ou un couteau
 
ça me revient 
l'affiche de "La Dispute" de Marivaux mis en scène par Patrice Chéreau. C'était une photo en noir et blanc légèrement solarisé je crois du dix-neuvième siècle représentant deux enfant en haillons qui regardaient l'objectif adossés à un mur
 
ça me revient 
que lorsque le single "Let it be" est sorti il n'y avait pas le solo de guitare de George Harrison  qui se trouve sur l'album du même nom, paru quelques semaines après.
 
ça me revient 
"A te souhaits" lui avais-je dit, alors qu'elle venait d'éternuer. "Vivre une vie de bonheur dans les bras de mon père jusqu'à la fin de mes jours", avait-elle répondu du tac au tac (ce qui est plutôt flatteur). Que ce vœu ne se réalise pas, avais-je aussitôt songé car il est dans l'ordre de la nature que les enfants survivent à leurs parents.
 
ça me revient 
dans les années 70 existait, Boulevard du Montparnasse, dans la partie située entre la place du 18 juin et l’angle de la rue de Vaugirard un restaurant de pâtes qui s’appelait Lustucru et qui ne servait que des pâtes de cette marque. Sa devanture était constituée de damiers alternant deux nuances de bleu comme sur les paquets de pâtes. Je n’y suis jamais allé. Par contre sur le trottoir d’en face se trouvait une institution locale "Chez Roger la frite" où je suis allé quelquefois manger. C’était même ouvert le dimanche soir.
 
ça me revient
le dernier festival d'Avignon auquel j'ai participé en 2019 et ces jours où je n'y arrivais plus avec le sommeil. Je m'endormais à 18 heures et me réveillais à 20 heures parce que j'avais fini de jouer à 15 heures, mangé après la représentation et traîné ensuite dans les rues comme une âme en peine refaisant des itinéraires empruntés des années auparavant... j'étais tellement épuisé que je lisais sur des affiches "jusqu'à ce que la vie nous Shakespeare" au lieu de "jusqu'à ce que la vie nous sépare"
 
ça me revient
j'ai vu Raymond Federman spécialiste de Beckett, qui fut aussi poète et romancier, lire des passages de ses livres au théâtre Montevideo de Marseille en septembre 2007. Je me rappelle aussi qu'il est mort le 9 octobre 2009
 
ça me revient 
le vieux couple dans le téléphérique de Funchal. Lui veut changer de place parce qu'il y a un courant d'air dans son dos. Il grogne pour je ne sais quelle raison. Elle, très grosse mais soumise. "Je sais ça va être une journée ratée et c'est de de ma faute" dit-elle
 
ça me revient,
Agnès parlant d'un conte, russe je crois, qu'elle avait lu petite, et dont le héros était (il me semble sans pour autant que j'en sois certain) un souriceau qui s'appelait. Stroutnitso. Elle aimait beaucoup ce nom, Stroutnitso. Il reste coincé dans un coin de ma mémoire. Stroutnitso. Ou bien c'était une comptine de son enfance, oui une comptine je crois.

ça me revient
la fois ou Roger Bambück, le grand sprinter français a enfin parcouru le 100 mètres en 10 secondes, trois autres concurrents ont réalisé 9.9 dans la même épreuve. Mais c'était quand déjà ? Avant les J.O de Mexico, je pense.
 
ça me revient 
le parler chantant de cette voisine africaine ce jour où, après m'avoir demandé des nouvelles de ma fille et alors que je lui répondais "elle passe le bac la semaine prochaine", elle s'exclama, "comme le temps passe vite quand les enfants ne nous font pas la paresse".

ça me revient,
au siècle dernier il y avait encore des équipes de rugby britanniques qui portaient des dossards avec des lettres allant de A à O plutôt que des numéros de 1 à 15

ça me revient
dans les années soixante un coureur de cross-country français s’appelait Jacky Boxberger

ça me revient, quand désormais de plus en plus de choses m'échappent... 

dimanche 11 avril 2021

Beaucoup de bruits sur terre

 
Voilà,
"Il y a beaucoup de bruits sur la terre, vraiment il y a beaucoup de bruits. Les gens parlent, partout, sans arrêt, et j'entends monter de toutes les fissures, de toutes les rainures, de drôle de grognements, des nasillements, des abois suivis de petits cris d'oiseaux, des soupirs, des reniflements, de rots, des clapotements de langue, et des claquements de dents. C'est une volière immense qui jase et hurle sans se fatiguer, emplissant le dôme du ciel de son gaz. D'un bout à l'autre du monde, dans le ciel, dans le vent, sur l'eau, roulent les échos des paroles vaines. Le bruit s'élève, s'abaisse, déferle en vagues, racle, rampe, éclate en milliards d'explosions qui se succèdent à des millionième de seconde d'intervalle. Il n'y a pas d'accord. Il n'y aura jamais d'harmonie." J.M.G. Le Clézio in "Le livre des fuites".
 Les deux peintures murales illustrant ce post, sont  "le bambin" de Seth dont il y a quelques semaines une autre de ses œuvres a été publiée.L'autre intitulée "Et j'ai retenu mon souffle"qui représente une ballerine suspendue entre le ciel et un paysage urbain a été réalisée à l'angle de la rue Jeanne d'Arc et du Boulevard Vincent Auriol par FAILE, un duo d’artistes américains composé de Patrick McNeil (né en 1975) et Patrick Miller (né en 1976). qui vivent et travaillent à Brooklyn depuis 1999 et créent des visuels saturés d’un amalgame d’images récupérées dans les médias de masse et la culture populaire. 
Linked with Monday mural

samedi 10 avril 2021

Pour la peau

Voilà,
ces temps rudes où tout concourt à nous séparer les uns des autres, où chacun est sommé de maintenir la distance, où le prochain ne doit pas être proche, où la main tendue se défie du contact, ces temps sans visage et sans étreinte réclament parfois une image de tendresse et de douceur. Et peu importe que cette vision — inconcevable il y a un an à peine — soit possiblement assimilée à une forme de transgression. C'est le printemps, et comme dit la chanson "que ne ferait-on pas pour la peau ?"

vendredi 9 avril 2021

La Statue fantôme

 
Voilà
Cette statue d'Arman, photographiée il y a bien des années, intitulée "Vénus Aphrodite" n'est plus sur son socle. Je ne sais pas où elle est passée. On l'a retirée sans doute parce que trop de graffiti la souillaient, il n'en reste désormais que le socle. Non loin demeure une statue représentant un pied géant en béton, assez laid et insignifiant, dont l'auteur m'est inconnu.
Arman est enterré au Cimetière du Père-Lachaise sous  une pierre tombale est assez drôle. Il y est inscrit en grosses lettres "Enfin seul". Je me souviens qu'il y a très longtemps, dans le courant des années soixante-dix, un musicien des rues se produisait là parfois, avec son orgue de barbarie rouge sur lequel, attaché à une chaîne, un petit ouistiti assis, les yeux perpétuellement écarquillés, tendait un panier destiné à recueillir les pièces des badauds et des passants. 

jeudi 8 avril 2021

Quand les beaux jours reviennent


Voilà,
quand les beaux jours reviennent je me lève tôt et je me réjouis du salon inondé de soleil
quand les beaux jours reviennent je me sens plus futile, j'ai envie d'écouter de la variété italienne, du reggae, XTC, Vivaldi Bach et Mozart et aussi King Sunny Ade très fort
quand les beaux jours reviennent il m'arrive de prendre une douche rapide et de traîner au gré de mes humeurs de bon matin dans les rues, les parcs ou les jardins
quand les beaux jours reviennent je me sens plus désinvolte plus alerte j'ai envie de voir des gens malgré ma misanthropie
quand les beaux jours reviennent j'ai envie de baiser et puis aussi de fleurs de couleur et de légèreté
quand les beaux jours reviennent j'aime planter des semis, rempoter, balayer les feuilles mortes et laisser ouvertes les fenêtres
quand les beaux jours reviennent je veux être comme-ci mais là-bas qui n'existe que dans ma mémoire
quand les beaux jours reviennent je lis des bandes dessinées et regarde des dessins de Sempé, Saul Steinberg et aussi des vieux numéros de Charlie mensuel 
quand les beaux jours reviennent j'ai envie de boire des verres en terrasse d'aller à la mer et de regarder passer les nuages
quand les beaux jours reviennent j'aime faire des courants d'air dans la maison
quand les beaux jours reviennent, au début, je ne sais trop comment m'habiller à cause du dicton "en avril ne te découvres pas d'un fil"
quand les beaux jours reviennent je change de parfum, je ne bois pas les mêmes thés
quand les beaux jours reviennent j'invente de nouvelles recettes de salades et parfois je mange des tomates crues
quand les beaux jours reviennent, les oiseaux chantent dans la cour et ça c'est bien
quand les beaux jours reviennent, j'ai envie de circuler comme aujourd'hui à vélo sur les quais aménagés en piste cyclable,  
quand les beaux jours reviennent beaucoup de choses me paraissent possibles
quand les beaux jours reviennent, je voudrais qu'il m'arrive quelque chose de bien et de nouveau, 
quand les beaux jours reviennent je pense que bientôt je pourrai manger des fraises et du melon
quand les beaux jours reviennent, il y a les cerisiers en fleurs, le figuier qui fait ses feuilles
quand les beaux jours reviennent le pas des filles dans les rues semble plus délicat
quand les beaux jours reviennent je me souviens avoir eu vingt ans et la vie devant moi
quand les beaux jours reviennent je marche on the sunny side of the street
(Linked with skywatch friday)
 

mercredi 7 avril 2021

Le confinement c'était mieux avant

  
 
Voilà,
c'était l'année dernière, le 7 Avril, pour être précis, au début du printemps donc. Il faisait beau durant ce confinement strict qui nous autorisait tout de même une heure de promenade. Ce jour là, je l'avais faite en compagnie de ma fille. Trois semaines avant, le président nous avait expliqué qu'on était en guerre contre le virus. On allait voir ce qu'on allait voir. Ce fut la débâcle que l'on sait. On y est encore.
Ce jour-là, j'avais aperçu cet homme qui, dans la partie commune de la villa Louvat, située au 38 bis rue Boulard, profitait de la douceur de ce tiède après-midi en lisant une biographie de Michel Jarre. Il y avait soudain ce temps de vacance obligée, ce droit à la paresse  — si cher à Paul Lafargue, qui était le gendre de Karl Marx —, et dont Malevitch considérait qu'elle est la vérité essentielle de l'homme. Tout à coup, pour les plus privilégiés des parisiens qui n'avaient pas émigré à la campagne, (ceux qui disposaient d'un appartement assez vaste, qui n'étaient ni médecins, ni infirmier(e)s, ni aide-soignant, et dont aucun proche n'était atteint de cette maladie qui abrégeait impitoyablement les vieux et les malportants), cette oisiveté imposée — dont on nous disait qu'elles ne durerait que quelques semaines — devenait une vertu cardinale, et même un signe de civisme, puisqu'elle permettrait de faire barrage au virus. On n'imaginait pas encore qu'un an plus tard, dans ce pays on en serait, question inorganisation, sensiblement au même point, et qu'entre-temps, nombre de gouvernements de par le monde auraient profité de cet effet d'aubaine pour, au prétexte de l'urgence sanitaire, et à la faveur de l'hébétude et de la sidération des citoyens face à l'événement, faire subrepticement passer de nombreuses lois liberticides. A ce moment là donc quelque chose advenait, sans précédent. Le monde entier était paralysé. Les optimistes se plaisaient à imaginer que cette situation inédite engendrerait de nouvelles solidarités, une réflexion sur le mode de fonctionnement de nos sociétés en matière d'écologie de soins et de protection sociale. Hélas, en ces temps, pas grand chose à attendre de l'espèce. Elle ne s'est pas mise encore assez en péril. La situation n'est pas assez critique. Elle ne se sent toujours pas menacée. Comme elle se pense au dessus de toutes les autres, son illusion de puissance lui donne un sentiment d'impunité en même temps que l'assurance qu'elle s'en sortira comme elle l'a toujours fait. Aujourd'hui, me reviennent ces mots de Michaux dans "Epreuves, exorcismes" : "Je n’ai pas entendu le chant de l’homme, le chant de la contemplation des mondes, le chant de la sphère, le chant de l’immensité, le chant de l’éternelle attente. 
Mais j’ai entendu son chant comme une dérision, comme un spasme, semblable à celle du tigre, lequel se charge en personne de son ravitaillement et s’y met tout entier. 
J’ai vu les visages de l’homme. Je n’ai pas vu le visage de l’homme comme un mur blanc qui fait se lever les ombres de la pensée, comme une boule de cristal qui délivre des passages de l’avenir, mais comme une image qui fait peur et inspire la méfiance".
J'écris donc cela un an après. Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Aujourd'hui en dépit du soleil, il fait froid. Hier quelques flocons sont même tombés sur Paris. Le confinement est moins strict, mais il n'y a plus d'excitation. La dimension universelle de l'événement s'est atténuée. On s'est habitué dans ce pays aux 300 victimes du covid par jour. L'équivalent quotidien d'un crash d'avion. On n'applaudit plus les personnels hospitaliers le soir. Il paraît cependant qu'on a commencé à vacciner à tour de bras. Mais au cours de cette dernière année on nous a tellement menti. Les français s'aperçoivent peu à peu que leur pays n'est qu'une petite province où plus grand chose ne fonctionne et par bien des aspects qu'elle est très en retard sur nombre de pays voisins. Ah oui bien sûr, nous fabriquons des armes mais pas de vaccins, d'objets manufacturés. Nos chercheurs s'exilent parce qu'ils sont mal payés, nous envoyons nos soldats à l'étranger, mais notre système de soin est à l'agonie, autant que nos écoles et nos universités. Je n'ai jamais cru à la grandeur de la France, mais je n'imaginais pas qu'elle fût à ce point de délabrement. Une vieille maison rongée par les termites. J'ai même entendu récemment des éditorialistes de télévision évoquer le spectre d'un soulèvement populaire. Cela m'a rappelé cette histoire que les anglais adorent raconter. "Pourquoi les français font-ils si souvent des guerres civiles ? Ce sont les seules qu'ils sont certains de gagner."
 

Ah oui, à tout hasard, je précise quand même que le titre de ce post est ironique. Sa conclusion aussi.
D'ailleurs au passage je déplore que le point d'ironie ne soit pas plus accessible sur les claviers. Ou alors je suis trop con, trop déphasé pour le trouver. J'ai essayé pourtant. Sans succès. N'y aurait-il que le point d'interrogation arabe pour faire l'affaire ؟

lundi 5 avril 2021

Convalescence

 
 
Voilà,
en retournant au Jardin des Plantes voir (comme je m'y étais engagé en novembre) le prunus shirotae complètement fleuri, j'ai repensé à ce passage dans "Le Livre de l'Intranquillité" de Pessoa. "L’impression de convalescence, surtout si la maladie qui l’a précédée s’est à peine fait sentir dans les nerfs, a un côté de gaieté mélancolique. Les émotions et les pensées connaissent une sorte d’automne, ou plutôt un de ce début de printemps qui, à la chute des feuilles près, ressemble, dans l’air et dans le ciel, à l’automne.
La fatigue peut être un plaisir, et le plaisir fait toujours un peu mal. Nous nous sentons un peu en marge de l’existence, tout en en faisant partie, et comme penchés au balcon de la vie. Nous voilà contemplatifs sans vraiment penser, nous sentons sans émotion indéfinissable. La volonté se détend car elle n’est pas nécessaire.
C’est alors que certains souvenirs, certains espoirs, certains désirs vagues remontent lentement la pente de la conscience tels des voyageurs indistincts aperçus du sommet d’une montagne. Souvenirs de choses futiles, espoirs qu’il était sans importance de ne pas voir se réaliser, désirs qui n’ont connu de violence ni dans leur nature ni dans leurs expressions, incapables de seulement vouloir être." C'est tout à fait la sensation qui est la mienne ces dernières semaines.


C'était étrange de voir cet arbre densément fleuri quand tout autour, les autres essences étaient encore dépourvues de feuilles. C'était le 31 mars dernier, après un agréable après-midi de travail, une narration pour un commentaire consacré à Daniel Cordier disparu récemment, collectionneur d'art et un des premiers résistants de Londres aux côtés de De Gaulle. Un travail utile et nécessaire comme je n'en avais pas fait depuis longtemps. Ensuite, je m'étais proposé d'emprunter le chemin des écoliers afin de profiter de cette belle fin de journée ensoleillée.
 

Je ne m'attendais pas à ce que les cerisiers du Japon attirent autant les promeneurs en ces premiers beaux jours. Parmi eux, de nombreux japonais venus pour là pour les photographier ou faire des selfies. Malheureusement, depuis les températures ont considérablement baissé et il fait de nouveau un froid hivernal sur Paris.

dimanche 4 avril 2021

Sous le Viaduc d'Austertlitz

Voilà,
En septembre 2019, un dimanche matin, j'étais allé faire du vélo sur les quais, profitant du beau temps pour m'accorder un peu d'exercice. Je crois me souvenir que ce jour là je trouvais la solitude un peu difficile à supporter et que j'aurais aimé être en compagnie. J'ai aperçu ces papiers collés sous le viaduc d'Austerlitz grâce auquel la ligne 5 du métro franchit la Seine. (linked with Monday mural)
 

vendredi 2 avril 2021

Consulter les courbes


Voilà,
m'oblomovise à vue d'œil. Me vautre dans mon gras. Mon lit mon copain, la tablette ma copine. La radio pas loin tout est okay coco. Consulte les courbes. Les compare. Les infectés. Les hospitalisés. Les réanimés. Les morts. Sous toutes latitudes. Pays par pays. A la ville. A la campagne. Rien de logique, de comparable, de compréhensible. Au bout d'un moment trouve ça presque drôle. Absurde. Facétieux. Oui, facétieux ce virus. Il est passé par ici, il repassera par là. Enfin non. J'espère que non. Surtout pas. Oh comme je voudrais parfois trouver refuge dans le sommeil d'une bête.