Voilà,
cette photo je la prends en fin d'après midi un jour du mois dernier où je me baguenaude du côté du quinzième arrondissement sur le site de l'ancienne petite ceinture dont certains tronçons ont été réaménagés en promenade pédestre. Ce jour là, je me suis presque obligé à sortir. "Faut marcher" a dit le docteur, "faire de l'exercice". Moi j'ai plutôt tendance à beckettiser dans mon lit, à me lever tard. Quand il faut bosser je n'ai pas envie d'y aller. J'ai le moral en berne sans trop savoir pourquoi. Mais comme il soleille dehors et que l'été s'attarde, je me dis pourquoi pas, des idées viendront peut-être en marchant. Mais d'idées, point. Des sensations, des souvenirs plutôt. Mon esprit va à hue et à dia à sauts et à gambades comme disait si joliment Montaigne. Oh il ne va pas bien loin, mon esprit, il musarde dans de modestes regrets, comme de n'avoir jamais pris le petit train d'Auteuil (malgré Verlaine, "Âme, te souvient-il, au fond du paradis / De la gare d'Auteuil et des trains de jadis", ou de ne m'être jamais permis de franchir l'entrée des entrepôts de Bercy lorsque l'activité y battait encore son plein.
Et puis je ne sais plus comment j'en viens à songer à ce drôle de monde où de lointains inconnus dont j'ignore le timbre de la voix la démarche la façon de s'habiller sont insidieusement devenus proches. Je pense à cette femme sans apparence plus précisément aux trois
lettres de son nom qui la désignaient comme la compagne de l'homme que je ne
connais pas mais dont régulièrement je prends depuis des années des nouvelles en consultant son blog, depuis qu'un jour je suis tombé
sous le charme de sa production photographique. Ils avaient pourtant
eu l'air de bien s'entendre. Je les avais enviés de pouvoir se balader en
scooter de nuit dans les rues de cette ville de Floride. Sa vie, ses
remarques, son journal de bord m'étaient devenus familiers, et j'avais
éprouvé de la peine pour lui à la lecture de cette nouvelle : les trois
lettres avaient un jour quitté sa maison. De nouveau il se retrouvait seul. Et puis pendant plusieurs mois, il a disparu des écrans. Un jour il a recommencé à donner de ses
nouvelles. II avait eu un très grave accident, et il s'en était fallu de
peu pour qu'il mourût. Il avait du traverser les épreuves de
l'hospitalisation, mais les trois lettres étaient de nouveau à ses côtés. De nouveau je
regarde ses mots ses images. Je l'imagine. Je le suppose. Je l'invente à
partir de ses informations qu'il me donne de lui. Il devient une sorte
de personnage. Comme nombre de blogueurs qui suscitent mon attention et ma curiosité.
Et puis je vois ce mur peint je pense à Sami du côté de Perth et à Gracie aussi dans la même ville. Ensuite quatre
autres lettres sur un autre blog où dans les chatoyantes couleurs de l'été du noir se broie. Souvent bien des fantômes
rôdent parmi les paysages et les souvenirs mêlés qui se donnent à lire. Et puis il y a les
poèmes et les histoires en langue espagnole quelque part collectés
et partagés depuis un īle des Baléares. En marchant je songe au plaisir enfantin de découvrir ces trésors qui sont comme les pochettes-surprise de
l'enfance, ou le cadeau qu'on trouvait autrefois dans les boîtes de lessive Bonux. Tout en réalisant qu'un jour Bonux ne signifiera plus rien pour personne, je me demande comment vit celle qui les traduit en français pour ses lecteurs. Quel
est le grain de sa voix, la couleur de ses yeux ? À quoi ressemble sa maison ? Et le
philosophe sans qualité qui musarde du côté de Biarritz ? J'envie ses élèves
auxquels il dispense des cours. J'aime son ironie distante et
l'élégance avec laquelle il manie le sarcasme. Le
visiteur qui m'aimait bien, écrivant de subtils poèmes un jour a disparu
de la circulation, que devient-il ? Et le
misanthrope de Lons-le-Saulnier qui ne donne plus de nouvelles. J'espère
qu'il va bien. J'en profite parfois pour parcourir des billets ancien de
son blog si érudit si drôle et si joyeusement vachard. Ça me requinque. L. pour sa part a totalement déserté les écrans, alors même qu'elle y écrivait des textes très intimes et très beaux. Et tant d'autres qui me sont devenus familiers. Avec certains se produisent parfois des échanges,
inévitablement superficiels mais toutefois rassurants. Même éphémère
une rencontre s'est produite. Écrit on pour se lier, pour se libérer
d'une chose trop lourde ? Pour s'alléger ? Pour partager une expérience ?
Parce qu'on espère un semblable ? Pour partager un constat ? Pour
explorer ou trouver une forme ? Par hygiène ? Pour donner une apparence supportable à sa
confusion ? Pour ma part je ne sais pas vraiment.
J'écris sans doute pour la femme que ma fille deviendra plus tard. Oui
c'est très probable. Pour quelques autres qui me font confiance, et me soutiennent. J'écris pour combler l'écart entre ce que je vois
et ce que je ressens, même si parfois je ferais mieux de fermer ma
gueule. J'écris pour ne pas laisser une image toute seule. J'écris parce
que je peux encore le faire.
Et songeant à cela je réalise que je ne suis pas en train d'écrire mais de marcher sans but, et que tout ce qui me traverse, je n'arriverai peut-être pas à le restituer, alors il faut faire vite trouver un bus et rentrer chez soi. Dommage, j'étais sur le point de téléphoner à Lionnel, qui habite non loin et que je n'ai pas vu depuis longtemps.
Et songeant à cela je réalise que je ne suis pas en train d'écrire mais de marcher sans but, et que tout ce qui me traverse, je n'arriverai peut-être pas à le restituer, alors il faut faire vite trouver un bus et rentrer chez soi. Dommage, j'étais sur le point de téléphoner à Lionnel, qui habite non loin et que je n'ai pas vu depuis longtemps.
Pour ceux que l'histoire de la petite ceinture intéresse