Voilà,
ce matin France Musique diffusait un entretien avec le metteur en scène russe Kyril Serebrennikov à propos de son film sur Tchaikovski, présenté au festival de Cannes. La barcarolle extraite de l'ensemble "Les saisons", qui évoque le mois de Juin servit à un moment de ponctuation musicale. J’ignorais ce répertoire de pièces brèves pour piano. En fait, je connais peu la musique de Tchaikovski en dehors du "Lac des cygnes"et de "Casse-noisettes" . Donc, sur ma plateforme favorite, j'ai cherché ces morceaux dont chacun illustre un mois de l'année. Et là, j'ai eu la surprise d'apprendre que Tchaikovski comptait parmi les maîtres de la relaxation et de la chill music. Je me réjouis d'avoir vécu jusque là, pour l'apprendre. Sinon, il est probable que je vais, la journée durant, demeurer chez moi, peu vêtu, volets clos et fenêtres ouvertes, pour échapper au premières chaleurs. Heureusement il y a aujourd'hui un peu de vent.
A part ça, au cours de la nuit, parcourant mes carnets, j'ai retrouvé ce passage de Felix Guattari que j'avais noté : “dans
une séquence de temps où tout le monde s'ennuie, un événement surgit
qui, sans que l'on sache trop pourquoi, change l'ambiance. Un processus
inattendu conduit à secréter des univers de référence différents; on
voit les choses autrement; non seulement la subjectivité change, mais
changent également les champs du possible, les projets de vie". Je
ne sais exactement à quelle période il se réfère pour établir ce
constat, (parle-t-il de Mai 68 de l'Italie de années 70 ?) pas plus que je ne puis dater ce texte. J’ai du remarquer cette citation il y a quelques mois sur le net
(sans doute au cours de l’un des confinements liés à l’épidémie de
covid, car elle circulait beaucoup à ce moment-là) mais il est clair – et c’est le moins qu’on puisse
dire – que ces derniers temps, l’ambiance change, en effet. Seulement à
l’ennui risquent de substituer les ennuis.
Car il n’y a pas un événement singulier mais plutôt une
accumulation d’événements qui modifient l’équilibre des forces et des
valeurs qui, jusqu'à présent, semblaient régir la marche du monde. Et soudain cela ne
fonctionne plus tout à fait. Une cascade d’anomalies plus ou moins
graves et une conjonction de situations critiques génèrent un désordre
dont on perçoit bien qu’il peut très vite virer au chaos. Cependant
on continue de bricoler ; on ne peut ni ne veut vraiment se résoudre à
l’idée qu’il va falloir changer nos habitudes autant que nos modes de
pensée et admettre que rien ne sera plus comme avant. La
guerre, la crise énergétique, les pénuries alimentaire liée aux
sécheresses, au conflits, la raréfaction des matières premières dues à la
circulation de plus en plus restreinte des marchandises et à la
perturbation des chaines d’approvisionnement, le coût inéluctablement
croissant de l’électricité qui rendra bientôt difficile non seulement la
possibilité de s’éclairer de se chauffer mais aussi de recharger nos
appareils informatiques comme c’est déjà le cas au Liban, tout cela,
certes on en parle, mais en cherchant toutefois à maintenir l’illusion que tout ça
finira bien par s’arranger parce que, n'est ce pas, il faut être positif.
Et les medias, les réseaux continuent de nous abreuver de nouvelles à
la con : comme, par exemple, les spéculations relatives tous les six
mois au mercato de football à venir (Mbappé ira-t-il au Réal, qui pour diriger le PSG l'année prochaine ?), des rivalités entre vedettes du
show-biz, les gossips des influenceurs, et j'en passe.
Ainsi, en France, depuis la réélection de Macron et dans l’attente du scrutin des législatives la
vie politique semble se dérouler dans un monde parallèle une
sorte de "second life" où la guerre en Ukraine n'existe pas, où des
crimes contre l'humanité de grande ampleur n’y sont pas commis, où rien
ne se manifeste d’un projet visant à détruire la démocratie européenne
fût-ce au prix d’une attaque nucléaire, un monde alternatif où la
conjonction de la catastrophe écologique planétaire, de la crise
sanitaire et des tensions géopolitiques n’a aucune conséquence
économique, où la folie d’un autocrate ivre de pouvoir et de conquête ne
plonge pas l'Europe entière dans un péril inédit et sous l’emprise
d'une menace durable qui nécessiterait une unité renforcée, une défense
commune et une refonte économique à la mesure de la situation
exceptionnelle où nous nous trouvons. Au lieu de quoi nous avons droit à
de mesquines petites tractations électoralistes comme si de rien
n’était. On a parfois l’impression que le monde alentour n’existe pas
dans la France de 2022.
Je repense souvent à cette brève histoire que l’on attribue à Kirkegaard : "Dans
le grand théâtre de Copenhague, la pièce est commencée depuis une bonne
heure lorsque, venant des coulisses, un homme crie à l'incendie. Les
spectateurs se mettent à rire et à l'applaudir. L'homme a beau insister
en expliquant que ce n'est pas une plaisanterie et que le feu s'est
réellement déclaré, les spectateurs rient de plus belle. Une demi heure
plus tard le théâtre est en feu et tout le monde meurt. La terre finira
ainsi dans un très grand éclat de rire et l'incrédulité générale"
On en est à peu près là, me semble-t-il.
Et puis merde.
Je voudrais être au bord de la mer.
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