Voilà,
il existe une expression japonaise —en fait, un concept théorisé au XVIIème siècle par le penseur Motoori Norinaga — "mono no aware" pour désigner la beauté mélancolique qui se manifeste dans toute chose du monde lié à la conscience que tout est transitoire et éphémère. Je ressens parfois cela. Et particulièrement quand je reviens place Furstemberg, et en particulier au 4 devant la vitrine de ce cabinet de curiosités que j'ai toujours connu et dont le charme toujours renouvelé me saisit à chaque fois. Car l'exposition de ces objets disparates surgis de passés et d'horizons divers, et subtilement assemblés, renvoie à des chagrins d'enfance éprouvés lorsque par exemple, à la beauté d'un paysage, s'opposait la bêtise abrupte de ceux qui m'avaient mis au monde.
Puisque j'avais été engendré, pensais-je alors, par des individus capables de proférer tant d'horreurs, et de se vanter de celles qu'ils avaient autrefois commises, je ne pourrais donc jamais avoir accès à toutes les splendeurs offertes par la nature auxquelles ne semblaient pas être sensibles ceux qui, rêvant pour moi d'un destin semblable au leur, prétendaient m'élever quand en fait ils ne s'employaient qu'à m'abaisser. Il me fallait chaque jour subir l'antienne de la rancœur et de leur désir de soumettre non seulement tous ceux qui ne leur ressemblaient pas : les "péquins", les civils, et par extension les "nègres", les "bougnoules" les "niakoués", sans oublier les communistes et les intellectuels, mais encore tout ce qu'ils n'étaient pas en mesure de comprendre. Oui, j'ai longtemps grandi là-dedans. Dans ce microcosme où la beauté est une offense, parce qu'elle relève du sensible et que se laisser captiver par la beauté apparaît comme un signe de faiblesse. Quiconque en est pourvoyeur, trouble l'ordre et fait acte de résistance voire de sédition.
Plus tard, il m'arriva d'être recueilli par des personnes qui avaient du goût pour les choses autant que pour les êtres, et qui étaient dénués de l'arrogance ou de la condescendance qui caractérisent souvent les riches. Ils furent les premiers à me parler, non comme à un inférieur hiérarchique, mais comme à un de leurs semblables. Ils m'apprirent à considérer le monde autrement qu'on me l'avait appris. Mais il est de secrètes hontes qui ne vous lâchent pas — des livres ont été écrits là-dessus — celles par exemple qui ont trait au manque de discernement, qui trahit les origines. Comme lorsqu'on se retrouve au restaurant et qu'on le ne comprend pas pourquoi tant de verres ni à quoi peuvent servir tous ces couverts. Encore aujourd'hui, j'ai cette crainte que l'emprise subie durant les premières années ne se soit pas totalement relâchée. Dans ces vitrines se trouve quelque chose d'inaccessible. Je ne parle pas de la possibilité ou non d'acquérir un de ces objets, non, ce n'est pas de ça dont il s'agit, ce qui est inaccessible c'est la familiarité avec ces objets. Les toucher me semble impossible. Peur de les salir, de les abîmer. Dans la vitrine, ils perdent de leur réalité en se fondant dans le reflet de la vitre qui les protège. En fait c'est moins eux que je photographie, que l'illusion qu'ils représentent. Et peut-être même est-ce l'adolescent qui, déjà fasciné, traînait autrefois dans les parages, qui incite aujourd'hui l’adulte qu’il est devenu à appuyer sur le déclencheur, pendant qu'il songe en ce lieu pérenne à quelques virtualités inabouties.
Tiens, j'y pense à présent, un de ces jours, je publierai le récit de ma première rencontre à 17 ans avec l'Auteur Dramatique de Renom, mais aussi à l'époque, un des cadres dirigeants de la filiale française d'une grande entreprise américaine. (Linked with weekend reflection)
My last two posts were pictures I took 61 years ago--- I was 14 so were the girls on the horses. I count the summer I spent on my uncle's ranch as being a huge part of my... uh... formulation. But let me quickly go on to this post. I like the picture, of course, but your words have had a great effect on me. I admire your willingness to dig down into the maelstrom that makes up the past for each of us. I wonder what it would have been like to have been 17 in Paris...
RépondreSupprimer...Mono no aware, 物の哀れ is a wonderful way to look at life thanks!
RépondreSupprimerL'image saisie dans cette vitrine est tout à fait étonnante. Ce que tu en dis est tout aussi étonnant. Comme beaucoup de textes nourris de tes souvenirs autobiographiques.
RépondreSupprimerSur l'arrogance, et j'écarte la condescendance qui ne va pas de pair, j'ai une opinion plutôt contraire. J'ai le plus souvent senti de d'arrogance chez les pauvres que chez les riches. Encore faudrait-il fixer le curseur. Et aujourd'hui j'entends sortir de la bouche des plus pauvres beaucoup de haines, racistes notamment. Pourquoi ? Sans doute l'école dite républicaine y a sa part. Mais il me semble que l'éducation est avant tout familiale. L'exemple de ma famille, que je qualifierais de pauvre compte tenu de leurs maigres revenus (comme les miens, d'ailleurs), est dramatique. Ce sont avant tout des vieux cons qui ont transmis leur détestation du bougnoule à leurs enfants, qui commencent à leur transmettre à leurs enfants. J'arrête ici pour ne pas me faire plus de mal.
Many layers of image here, but they all work together. Beautifully photographed.
RépondreSupprimerSensational
RépondreSupprimerJ'adore cette photo et j'aime tes récits autobiographiques ! Un mélange parfait !
RépondreSupprimerCabinet of curiosities, my favourite place to explore. The windows make the best reflections 💙
RépondreSupprimerLa configuración y presencia de las imágenes y
RépondreSupprimerformas en el cristal, son un vórtice de energía en
un espacio vibrante.
Abrazos.