jeudi 29 février 2024

Le temps qui passe et le temps qui reste

 
Voilà,
depuis longtemps, j'aime accoster à cet endroit, où tout ce qui s'y expose demeure une source d'étonnement. J'y assiste aux noces toujours recommencées de la magie et de la poésie. Derrière cette vitrine et dans ses reflets, ressurgit le temps d’avant niché dans le temps présent. Et parfois je crois reconnaître à sa surface l'image inversée du jeune homme curieux, inquiet, aux aguets qui, voilà maintenant bien longtemps, promenait sa silhouette dans les parages. Souvent mes pérégrinations dans le quartier me ramenaient à cette fenêtre ouvrant, me semblait-il, par des voies invisibles et secrètes sur un monde parallèle et propice à toutes les rêveries. Et il en est encore ainsi aujourd'hui.
Des sensations anciennes, des souvenirs de lectures, des rêves dont l'empreinte demeure encore vivace, des visions fugitives qui continuent de me hanter ( je ne sais toujours pas si elles relèvent de mon imagination ou si elles sont réellement advenues), émergent puis s'abolissent aussitôt comme autant d'énigmes dont j'espère, qu'un jour peut-être, une fin paisible pourra m'offrir la résolution. Quoi qu'il en soit, ici dans les reflets de la rue mêlés au fatras savamment organisé des choses anciennes, le temps qui passe et le temps qui reste se fondent dans la douceur d'un mystère toujours recommencé.

mardi 27 février 2024

L'art n'a rien fait

 
Voilà,
"et l'art n'a rien fait sinon nous montrer le trouble dans lequel nous sommes la plupart du temps. Il nous a inquiétés, au lieu de nous rendre silencieux et calmes. Il a prouvé que nous vivons chacun sur son île ;  seulement les îles ne sont pas assez distantes pour qu'on y vive solitaire et tranquille. L'un peut déranger l'autre, ou l'effrayer, ou le pourchasser avec un javelot – seulement personne ne peut aider personne". (R.M. Rilke "Notes sur la mélodie des choses")

dimanche 25 février 2024

Pays nantais

Voilà,
il y a deux ans jour pour jour, je suis allé à Trentemoult un ancien village de pêcheurs aux maisons colorées situé, juste en face de Nantes sur la rive gauche de l'estuaire de la Loire. On y accède après cinq minutes de traversée à bord de ce qu'on appelle là-bas le Navibus. En quittant la Gare Maritime de Nantes on ne peut ignorer cette longue fresque peinte sur un mur de la rive droite. J'ignore si elle existe encore.
 
 




Bientôt sur l'autre rive apparaît une ligne de bâtisses bigarrées. L’une des façades arbore une peinture publicitaire « Petit Beurre Lu » d’une autre époque. Juste à côté, la crêperie "La Reine Blanche" . Les pêcheurs peuplant jadis ce petit village à l’allure étonnante, avec ses allées sans voiture et des terrasses le long de la Loire, enduisaient leurs maisons avec les restes de peinture destinée aux coques des bateaux. La tradition a perduré et sied parfaitement à l’ambiance bohème qui flotte désormais ici, loin de l’agitation urbaine.
 
 
 
Il y avait quelque chose d'incongru à profiter des timides rayons du soleil, et à déambuler dans ces ruelles si paisibles en songeant à l'agression sauvage de l'armée russe en Ukraine, et à l'invasion qui venait de commencer la veille.
 

Plus tard, revenu à Nantes et déambulant au hasard des rues, j'ai aperçu ce magnifique trompe-l'œil, voisin de cet autre que j'ai déjà montré dans ces pages
 

jeudi 22 février 2024

Intersection

 
 
 
Voilà,
il m'arrive parfois d'être aussi un photographe sensible à la lumière, à la façon dont elle magnifie le paysage, le plus ingrat fût-il. C'était un jour de décembre 2019, à l'intersection du canal de l'Ourcq, et du canal St Denis alors que je répétais un spectacle dans le nord de Paris. Je me souviens qu'il y avait des grèves de transports à ce moment là. On commençait en outre à évoquer cet étrange virus apparu en Chine, mais comme un truc exotique qui ne pourrait jamais nous concerner. C'est là que j'ai entendu pour la première fois parler du pangolin. 
Si je parle du passé, et ne commente plus l'actualité c'est parce que ce que je vois et entends me consterne. Lire les infos, c’est être inévitablement saccagé par des nouvelles toutes plus mauvaises et accablantes les unes que les autres et assister impuissant au tour chaque jour un peu plus chaotique pris par le monde. 
De toute façon, en ce moment, seul m'importent l'évolution de l'état de santé de ma fille et la nécessité de lui rendre la vie aussi douce que possible lorsqu'elle est en ma compagnie. Le reste du temps, suivant le précepte de Matisse selon lequel "la couleur ne nous pas été donnée pour imiter la nature, elle nous a été donnée pour que nous puissions exprimer nos émotions", je tente, dans la mesure de mes moyens, et avec les outils dont je dispose, de tenir l'inquiétude à distance. 




dimanche 18 février 2024

Relax

 
Voilà,
boulevard Raspail, on pouvait apercevoir il y a quelques mois, cette peinture sur la vitrine d'un salon d'esthéticienne je crois. Une fois de plus j'ai pensé à ces illustrations du dessinateurs Kiraz dans les années soixante, qui mettaient en scène "les parisiennes", des femmes élégantes aux yeux en amande et aux jambes interminables qui firent les beaux jours des magazines  Jours de France et Paris Match. Avec le temps, elles sont devenues le symbole d’une élégance un peu surannée, d'une futilité mutine qu'incarnaient dans le cinéma français des actrices comme Mireille Darc ou Marlène Jobert. Pour ma part je trouvais ces dessins complètement ringards et je ne jetais sur eux qu’un regard distrait et souvent consterné en feuilletant les journaux dans les salles d'attente de médecins ou de dentistes. Je n'imaginais pas qu'ils s'imprimeraient pourtant de façon durable dans ma mémoire.
 
*
 
 
 
Peut-être que cette femme piqueniquant seule devant un bar de St Germain des prés, où des coussins ont été disposés à cet effet pourrait être une illustration vivante de ces filles dessinées que j'associe aussi à ce vieux tube de Jacques Dutronc qui enchanta mon enfance.
 
*
 
 
Sinon je suis retombé par hasard, en rangeant ma bibliothèque sur le livre d'Emmanuel Carrère "d'autres vies que la mienne". En le feuilletant j'ai noté ce passage auquel je ne peux que souscrire : "Je suis terriblement choqué par les gens qui vous disent qu’on est libre, que le bonheur se décide, que c’est un choix moral. Les professeurs d’allégresse pour qui la tristesse est une faute de goût, la dépression une marque de paresse, la mélancolie un péché. Je suis d’accord, c’est un péché, c’est même le péché mortel, mais il y a des gens qui naissent pécheurs, qui naissent damnés, et que tous leurs efforts, tout leur courage, toute leur bonne volonté n’arracheront pas à leur condition. Entre les gens qui ont un noyau fissuré et les autres, c’est comme entre les pauvres et les riches, c’est comme la lutte des classes, on sait qu’il y a des pauvres qui s’en sortent mais la plupart, non, ne s’en sortent pas, et dire à un mélancolique que le bonheur est une décision, c’est comme dire à un affamé qu’il n’a qu’à manger de la brioche". Avec l'âge il arrive que la mélancolie se teinte d'effroi. Les nouvelles que l’on peut lire ici ou là n’incitent guère à l’allégresse, mais relax, tout de même,  puisqu'ainsi vont les choses dans le meilleur des mondes possibles.

vendredi 16 février 2024

Des hommes rassemblés



Voilà
 « Il y a des hommes rassemblés, et quelqu’un qui leur fait un récit. Ces hommes rassemblés, on ne sait pas encore s’ils font une assemblée, s’ils sont une horde ou une tribu, mais nous les disons "frères", parce qu’ils écoutent le même récit. Ils n’étaient pas rassemblés avant le récit, c’est la récitation qui les rassemble. Avant ils étaient dispersés, se côtoyant, coopérant ou s’affrontant sans se connaître. Mais l’un d’eux s’est immobilisé, un jour, ou peut-être est-il survenu, comme revenant d’une absence prolongée, d’un exil mystérieux et il a entamé le récit qui a rassemblé les autres… » Jean-Luc Nancy in La Communauté désœuvrée

jeudi 15 février 2024

The Rainbow

  
 
Voilà,
My heart leaps up when I behold
A Rainbow in the sky:
So was it when my life began;
So is it now I am a Man;
So be it when I shall grow old,
Or let me die!
The Child is Father of the Man;
And I could wish my days to be
Bound each to each by natural piety.
  
William Wordsworth (1770-1850)

lundi 12 février 2024

Un vieux dessin

 
Voilà
quelques années, j'ai scanné de nombreux dessins de ma fille. Celui-ci, fait en avril 2005, alors qu'elle n'avait que trois ans et demi, me plaît particulièrement et m'émeut par son absolue simplicité. J'aimerais être capable de dessiner de la sorte, plus précisément d'oser tenter de le faire. Mais je n'en ai plus la naïveté.
Aujourd'hui ma fille vit une épreuve qu'elle traverse avec autant d'élégance que de ténacité, sans jamais se plaindre. Dans cette adversité, elle se révèle admirable. Elle m'étonne par sa vitalité. Comment fait elle pour surmonter la peur, les doutes, les angoisses ? Je ne sais d'où lui viennent cette force intérieure et cette apparente sérénité. Un ardent désir de vivre, sans doute. Des amitiés nombreuses et fidèles aussi, certaines mêmes déjà longues. Peut-être aussi, parce que sa mère et moi nous l'avons toujours encouragée à croire en elle, partageant avec elle cette confiance. Je lui envie cette aptitude, moi qui suis demeuré un sauvage solitaire et méfiant, travaillé par trop de doutes. 
Je n'ai ces derniers temps, depuis quatre mois que nous traversons cette tourmente, qu'une seule envie, d'être près d'elle, marcher à ses côtés, tenir sa main, respirer près d'elle, aller au cinéma au théâtre en sa compagnie, partager des émotions. Le reste du temps, je n'ai envie de rien. J'essaie de dormir, sans trop y parvenir aisément. J'arrête là. 
Tout ça pour dire que je me sens parfois comme ce petit bonhomme.

dimanche 11 février 2024

Un grand homme

 

Voilà,
il y a quelques mois, rue de Vaugirard, en face du Sénat, j'ai aperçu cette peinture de l'artiste C215, représentant Robert Badinter, qui vient de mourir. Avocat devenu ministre de la Justice (je le précise pour mes lecteurs étrangers), il permit l'abolition de la peine de mort en 1981, qui fut le principal combat de sa vie. C'est aussi sous son ministère qu'advint la dépénalisation de l'homosexualité en France. J'avais, dans une publication antérieure, déjà évoqué son nom en relatant une histoire singulière qui lui était arrivée dans sa jeunesse.
shared with monday murals - blue monday

vendredi 9 février 2024

Grand et petit


 
Voilà,
Durant l’été 2018, dans le cadre d'un cycle intitulé Enfance, s’est tenue à Paris au Palais de Tokyo, sous le patronage de la fondation Bettencourt Schueller, l'exposition "Encore un jour banane pour le poisson rêve" allusion à la nouvelle de Salinger "A perfect day for banana fish". Les commissaires en étaient Sandra Adam-Couralet et Yoann Gourmel associés à Kodama Kanazawa. La dramaturgie était assuré par l’artiste Clément Cogitore, et la scénographie de Laure Pichat.
Ce name dropping correspond à l'air du temps. A ce qu'Annie Le Brun nomme "l'art officiel de la mondialisation commandé, financé et propagé par les forces réunies du marché, des médias et des grandes institutions publiques et privées sans parler des historiens d'art et des philosophes appointés qui s'en font les garants"
L’exposition mettant ainsi à l’honneur les œuvres d’artisans d’art et d’artistes contemporains avait pour thème "les imaginaires de l’âge tendre, ses mythes fondateurs et ses transformations contemporaines". Elle se proposait d'inviter les visiteurs à "se replonger dans des souvenirs de cette époque plus ou moins lointaine et à réfléchir à leur influence sur la construction de nos identités et leurs représentations".
Ce salmigondis ferait bonne figure dans une conférence gesticulée de Franck Lepage. Ou dans un équivalent contemporain des "précieuses ridicules" de Molière
Quoi qu'il en soit je me souviens en ce mois d'Août, de cette salle de Tomoaki Suzuki avec ses minuscules silhouettes hiératiques éparpillées dans un vaste espace de déambulation. Ces sculptures réalisées avec précision, dans du bois de citronnier ou de peuplier  et soigneusement décorées à la peinture acrylique étaient supposées évoquer "les modes de vie et les styles vestimentaires contemporains tout en réactualisant des traditions orientales plurimillénaires qui donnent à voir une communauté sans revendication apparente". 
J'ai pompé ces citations sur le site du palais de Tokyo, et aussi du CACP de Bordeaux. Je les trouve pour ma part assez vasouilleuses. L'art contemporain a ceci de particulier que le discours sur l'œuvre est inhérent à l'œuvre elle-même. Il se veut transgressif il n'est la plupart du temps qu'un avatar de la société du commentaire et de la consommation.
En fait je n'ai aucun souvenir sensible de cette exposition sinon par les photos que j'y ai faites, retrouvées dans mon ordinateur. Je n'y ai ressenti aucun éblouissement. Je l'ai déjà écrit dans ce blog, il m'apparaît la plupart du temps que les sites d'art contemporain (fondations, musées) s’offrent souvent comme des lieux de déambulation, de flânerie pour bourgeois bohèmes et étudiants, un peu plus sophistiqués mais tout aussi futiles que ces centres commerciaux où s’agrègent les enseignes à la mode. On n’y fait pas du shopping mais on y jette un œil. Ce qu'on y voit relève le plus souvent du display, de l'art de la devanture. On fait ses courses d'images et d'impressions. Cela vous a son petit côté parc d'attractions, aussi. On s’y distrait. On s’y abandonne à un suspens de vie. Ce n’est pas désagréable. On occupe son temps dans des espaces que d'autres ont investis. On déambule dans l'art institutionnel qui, malgré un vernis de fausse provocation fleure bon l'optimisation fiscale. Et pour une œuvre puissante, combien de médiocres artefacts ne faut il pas s'infliger.

jeudi 8 février 2024

Paysage champêtre


Voilà,
c’est un paysage aperçu un été en Bourgogne. Des meules de foin empilées, enveloppées dans du plastique, offrant l’apparence d’une muraille. L'enrobage des balles de foin dans des couches de film d'enrubannage crée, parait-il, un environnement anaérobie qui permet une fermentation contrôlée du fourrage à l'intérieur de la balle. C’est aussi du Land Art qui s’ignore. La même chose dans le parc d’une fondation d’art contemporain s’appellerait une installation et vaudrait plusieurs millions. Si j’ai pris la photo c’est que je trouvais ça insolite, digne d’intérêt. Mais bon je suis un citadin ; à la campagne un rien m’étonne 

jeudi 1 février 2024

Étrange


Voilà
cette réalité me semble tellement étrange, énigmatique
comme un terrain vague peuplé de fantômes et jonché de déchets
mais il ne faut pas trop lui en demander n’est-ce pas à la réalité 
il arrive qu'elle nous fasse parfois des faveurs à la mesure des frayeurs
dont elle est si souvent prodigue