tandis que tu fais une chose ou l’autre
quelqu’un est en train de mourir
tandis que tu brosses tes souliers
tandis que tu cèdes à la haine
tandis que tu écris une lettre prolixe
à ton amour unique ou non unique
et même si tu pouvais parvenir à ne rien faire
quelqu’un serait en train de mourir
essayant en vain de rassembler tous les coins
essayant en vain de ne pas regarder fixement le mur
et même si tu étais en train de mourir
quelqu’un de plus serait en train de mourir
en dépit de ton désir légitime
de mourir un bref instant en exclusivité
c’est pourquoi si l’on t’interroge sur le monde
réponds simplement quelqu'un est en train de mourir
Longtemps j'ai cru que c'était un poème zen. En fait jusqu'à maintenant. En tapant les premières lignes sur un moteur de recherche pour en trouver l'hypothétique auteur chinois ou japonais, je viens de découvrir que c'est un poème de Roberto Juarroz datant de 1958. Je me souviens très bien dans quelles circonstances j'ai eu connaissance de ces vers. C'était en 1985 au Théâtre de la Tempête. Deux sœurs l'une qu'on surnommait Billie et l'autre prénommée Ghislaine tenaient le bar. C'étaient des filles vraiment sympathiques. Je crois que c'est Billie qui m'a montré ce texte qu'elle avait photocopié, et que j'ai recopié à la main, un soir, après une représentation du spectacle "Rêves de Kafka". Un jour je me suis décidé à le mettre dans mon ordinateur. Il m'est arrivé de lire de temps à autre et par hasard des textes de cet auteur, et à chaque fois je trouvais ça vraiment bien. Cette fois c'est sûr je vais considérer cette œuvre plus attentivement.