jeudi 3 janvier 2019

L'Accordéoniste du Pont Saint-Louis


Voilà,
J'ai relu hier l'avant propos du livre de Clément Rosset "Le réel et son double" : "Si le réel me gêne et si je désire m’en affranchir, je m’en débarrasserai (...) grâce à un mode de réception du regard qui se situe à mi-chemin entre l’admission et l’expulsion pure et simple : qui ne dit ni oui ni non à la chose perçue, ou plutôt lui dit à la fois oui et non. Oui à la chose perçue, non aux conséquences qui devraient normalement s’ensuivre. Cette autre manière d’en finir avec le réel ressemble à un raisonnement juste que viendrait couronner une conclusion aberrante : c’est une perception juste qui s’avère impuissante à faire embrayer sur un comportement adapté à la perception. Je ne refuse pas de voir, et ne nie en rien le réel qui m’est montré. Mais ma complaisance s’arrête là. J’ai vu, j’ai admis, mais qu’on m’en demande pas davantage. Pour le reste je maintiens mon point de vue, persiste dans mon comportement, tout comme si je n’avais rien vu. Coexistent paradoxalement ma perception présente et mon point de vue antérieur. Il s’agit là moins d’une perception erronée que d’une perception Cette perception inutile constitue semble-t-il, un des caractères les plus remarquables de l’illusion. On aurait probablement tort de considérer celle-ci principalement comme provenant d’une déficience dans le regard. L’illusionné, dit-on parfois ne voit pas : il est aveugle, aveuglé. La réalité a beau s’offrir à sa perception : il ne réussit pas à la percevoir, ou la perçoit déformée, tout attentif qu’il est aux seuls fantasmes de son imagination et de son désir. 
Cette analyse, qui vaut sans aucun doute pour les cas proprement cliniques de refus ou d’absence de perception, paraît très sommaire dans le cas de l’illusion. Moins encore que sommaire : plutôt à côté de son objet. (...) Dans l’illusion, c’est-à-dire la forme la plus courante de mise à l’écart du réel, il n’y a pas à signaler de refus de perception à proprement parler. La chose n’y est pas niée : seulement déplacée, mise ailleurs. Mais, en ce qui concerne l’aptitude à voir, l’illusionné voit, à sa manière, tout aussi clairement qu’un autre.  Cette vérité apparemment paradoxale devient sensible dès que l’on songe à ce qui se passe chez l’aveuglé (...). On peut dire que la perception de l’illusionné est comme scindée en deux : l’aspect théorique (qui désigne justement « ce qui se voit », de théorein) s’émancipe artificiellement de l’aspect pratique (« ce qui se fait »)."

Évidemment cette réflexion renvoie à l'actualité de  ce monde, à la dissonance cognitive dont nous sommes tous plus ou moins atteints. Nous essayons de vivre normalement, comme si de rien n'était, alors que précisément rien ne va plus, ce à quoi bien sûr on ne peut se résoudre. Et la période des fêtes accentue cette perception. On continue à se souhaiter une bonne année en dépit des signes convergents qui laissent augurer qu'elle ne le sera probablement pas. Mais on le fait cependant pour ne pas passer pour un mauvais coucheur. 
Ici, dans une des plus vieilles capitales d'Europe, règne un climat très malsain. Ce matin, lors d'une émission politique, je me suis aperçu que les protagonistes n'arrivaient même plus à se mettre d'accord sur le sens des mots. Même le langage, nous ne le partageons plus.
Pour ma part je continue à poster des photos d'un Paris qui n'existe pas vraiment. Celle-ci je l'ai prise en Mars 18. Je me souviens que c'était après avoir participé à une manifestation dont je m'étais dit qu'elle ne servait de toute façon pas à grand chose, sauf à faire un peu de marche à pied en compagnie. C'est sans doute parce que l'on ne tenait pas compte de leurs manifestations, que des gens en sont venus ces dernières semaines à provoquer des émeutes. 
.J'avais eu alors envie, pour oublier de me balader dans Paris comme si j'étais étranger à cette ville et de me laisser surprendre. C'est dans ces circonstances que j'ai pris ce cliché touristique, qui correspond à un rêve de Paris, celui d'une ville où il fait bon envisager l'avenir, où les clochards sont pittoresques, les policiers débonnaires, et les rapports entre les gens paisibles et bienveillants, comme dans les photos des années cinquante de Ronis, Doisneau, Brassaï, Riboud, Barbey Erwitt, Barzillet et tant d'autres, tout en sachant que tout cela est précisément une illusion
Je garde une tendresse particulière pour le cœur de Paris, pour l'île de la cité, l'île Saint Louis. C'est un endroit du temps suspendu. Et puis je ne peux jamais passer près du 1A Quai aux fleurs sans penser au philosophe Vladimir Jankelevitch qui y a vécu une grande partie de sa vie.

2 commentaires:

  1. i like this moment you captured...

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  2. Excellent choix Rosset, si facile la dissociation de la perception, si pratique...( me sentirais-je concernée ?)

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