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Eric Doye, et Joop Doren en arrière plan Février 1987 |
je voudrais arrêter un moment, calmer le jeu, il y a tant d'autres choses à faire et le temps manque, le temps manque de plus en plus, mais il y a une nécessité à dire les noms, ne pas les oublier, c'est à cela que je pensais hier en lisant le très bel article de
Hélène Hazéra sur
Michel Cressolle journaliste à Libération dans les années 70 et 80, quand elle évoque la terrible maladie de ces années-là et tous ces gens disparus, oui à des visages je pensais à des visages des noms, Eric, c'est à Éric d'abord que j'ai repensé. Éric Doye, qui pour moi était parmi les plus doués des comédiens de sa génération et d'une émouvante singularité. Il possédait un charisme inouï et un style à nul autre pareil. Il avait la grâce. Eric que j'ai trop peu croisé. Nous n'étions pas familiers, ne fréquentions pas les mêmes bandes, ou alors occasionnellement, nous n'avions pas le même mode de vie sans doute. Nous nous retrouvions parfois, à des premières, dans des restaurants de comédiens. Nous avions joués ensemble sur un spectacle, nous nous étions bien entendus, alors cela crée au moins des connivences. En tournée, ils nous avait hébergé, Philippe Faure, Etienne Pommeret et moi dans la maison de ses parents absents. J'ai quelques photos de cet épisode. Celle-ci je l'ai prise dans un restaurant. Nous nous étions balladés dans la région avec la voiture de ses parents et je me rappelle, que lorsqu'il s'était agi de rejoindre le théâtre des treize vents qui nous accueillait, et qui est situé en dehors de Montpellier à Gramont, une file ininterrompue de véhicules occupait la nationale. Il y avait un concert au Zénith de je ne sais quelle vedette de variétés, et nous commencions à flipper à l'idée de ne pas arriver à l'heure pour la représentation (je parle d'une époque sans portables). Tout s'était finalement bien passé, nos partenaires avaient placé nos accessoires, les costumes étaient prêts et la représentation avait été un peu plus rock and roll que d'habitude. De ce passage chez lui, je me souviens de films qu'il avait faits lorsqu'il était plus jeune, de dessins, de photos, toute une production artistique en devenir, dont je me demande ce qu'il reste.
Plus tard nous avions failli travailler ensemble dans un spectacle en Italie, et puis au dernier moment j'avais eu une autre opportunité et cela ne s'était pas fait. Mais à la reprise à Paris, comme il s'était blessé on m'avait proposé de reprendre le rôle qu'il avait créé. C'était un spectacle de théâtre dansé, dans l'esprit de Pina Bausch comme cela se faisait beaucoup à l'époque, et j'avais repris sa partition en une semaine. J'avais dû me glisser dans ses inventions dans le chemin qu'il avait tracé au cours d'improvisations, et cela avait été une expérience singulière que de se conformer à son imaginaire. Après la première – c'était dans ce restaurant du marais très fréquenté par les comédiens qui s'appelait "Le dos de la baleine"–, en fin de soirée - sans doute étions nous embarrassés l'un et l'autre par la situation -, il était venu me voir, pour me dire "le spectacle m'a plu, et en même temps ça me fait un peu chier j'aurais préféré détester". J'avais répondu que je comprenais tout à fait son point de vue, d'une certaine façon ma place était plus confortable que la sienne. Et il avait ajouté "mais je préfère que ce soit toi plutôt qu'un autre qui l'ait fait". On en était resté là, on avait bu un verre, et on était allés retrouver nos copains respectifs. Plus tard, il était rentré à la Comédie Française, ce qui m'avait étonné car cela ne cadrait pas tout à fait avec sa personnalité. Sans doute avait-il alors besoin de sécurité se sachant malade, ce que j'ignorais et que j'ai appris très tard. Un jour, cela devait être au début des années 90, je l'avais rencontré par hasard, et je lui avait parlé de Mastroïanni jeune, qui je ne sais plus dans quel film m'avait fait penser à lui, sur quelques attitudes. Je lui avais dit tu es beau comme lui et cela l'avait fait gentiment sourire. Tout ça est loin. S'il n'avait pas chopé cette saloperie, je suis sûr qu'il serait devenu une vedette.