dans le train de banlieue, assis à ma gauche de l'autre côté de la travée, un passager parle tout seul par intermittence. Quand à la station suivante monte un type qui lui aussi se met à soliloquer, un peu plus fort cependant, que le voyageur assis à mes cotés, la situation me paraît tout à coup digne d'intérêt. Resté debout le nouvel entrant manifeste un certain état de tension. Le cheveux rare, l'œil charbonneux, le maxillaire crispé, il semble halluciné. Peut-être sous drogue. Il y a tant de nouveaux trucs en circulation ces derniers temps qui rendent à moitié dingue. D'ailleurs entre ses dents il n'hésite pas affirmer qu'il parle tout seul, le revendique même, mais on ne sait si c'est parce qu'il s'est inventé en lui-même son propre contradicteur, ou si c'est pour nous informer qu'il est tout à fait conscient de son état. Cette incursion semble contrarier mon voisin, qui timidement, chaque fois que l'autre fait une courte pause, se hasarde toutefois à murmurer par-devers lui quelques phrases. Mais c'est pour se taire aussitôt que l'autre recommence. Il n'y a pas que de la contrariété sur son visage. Difficile de dissimuler l'inquiétude tant le discours structuré quoique obsessionnel du nouvel entrant s'apparente à une sorte de réquisitoire permanent contre lui-même. Il en ressort que celui-ci a relu trente fois des feuillets qu'il a écrits et qui selon lui auraient du être plus longs, parce qu'il a justement pris trop de temps à les lire. Mais il grommelle qu'il aurait du passer trente fois plus de temps a les rédiger parce qu'il trouve que c'est nul que ça ne vaut rien. Plusieurs fois il répète qu'il n'écrira de toute façon pas son livre parce que c'est cela n'a aucune valeur, mais que malgré tout, "il le lira dans le bois de Vincennes à son copain pour lui raconter des bons mots". "Ouais parce qu'il y a des bon mots" assène-t-il plusieurs fois de suite d'un ton saccadé. Il déclare aussi que ce livre raté qu'il n'aboutira pas est "la condition de sa haine", mais qu'il continuera cependant à lire trente fois d'affilée ses feuillets même si c'est nul et raté. L'homme à ma gauche semble à présent terrorisé par les récriminations permanentes du nouvel entrant. Pour ma part je ne suis pas trop fâché de devoir enfin quitter ce wagon. Dans l'immense débâcle de ce monde, j'ai déjà tant de mal à m'accommoder de mon propre chaos, que je peux me dispenser de devoir subir les bouffées délirantes de parfaits inconnus.
Un blog écrit en français, avec des photos des collages des dessins, des créations digitales, des récits de rêves, des chroniques des microfictions et encore bien d'autres bizarreries... A blog written in french with photos, collages, drawings, digital paintings, dream stories, chronicles, microfictions and a few other oddities.
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samedi 25 mai 2013
Délires suburbains
dans le train de banlieue, assis à ma gauche de l'autre côté de la travée, un passager parle tout seul par intermittence. Quand à la station suivante monte un type qui lui aussi se met à soliloquer, un peu plus fort cependant, que le voyageur assis à mes cotés, la situation me paraît tout à coup digne d'intérêt. Resté debout le nouvel entrant manifeste un certain état de tension. Le cheveux rare, l'œil charbonneux, le maxillaire crispé, il semble halluciné. Peut-être sous drogue. Il y a tant de nouveaux trucs en circulation ces derniers temps qui rendent à moitié dingue. D'ailleurs entre ses dents il n'hésite pas affirmer qu'il parle tout seul, le revendique même, mais on ne sait si c'est parce qu'il s'est inventé en lui-même son propre contradicteur, ou si c'est pour nous informer qu'il est tout à fait conscient de son état. Cette incursion semble contrarier mon voisin, qui timidement, chaque fois que l'autre fait une courte pause, se hasarde toutefois à murmurer par-devers lui quelques phrases. Mais c'est pour se taire aussitôt que l'autre recommence. Il n'y a pas que de la contrariété sur son visage. Difficile de dissimuler l'inquiétude tant le discours structuré quoique obsessionnel du nouvel entrant s'apparente à une sorte de réquisitoire permanent contre lui-même. Il en ressort que celui-ci a relu trente fois des feuillets qu'il a écrits et qui selon lui auraient du être plus longs, parce qu'il a justement pris trop de temps à les lire. Mais il grommelle qu'il aurait du passer trente fois plus de temps a les rédiger parce qu'il trouve que c'est nul que ça ne vaut rien. Plusieurs fois il répète qu'il n'écrira de toute façon pas son livre parce que c'est cela n'a aucune valeur, mais que malgré tout, "il le lira dans le bois de Vincennes à son copain pour lui raconter des bons mots". "Ouais parce qu'il y a des bon mots" assène-t-il plusieurs fois de suite d'un ton saccadé. Il déclare aussi que ce livre raté qu'il n'aboutira pas est "la condition de sa haine", mais qu'il continuera cependant à lire trente fois d'affilée ses feuillets même si c'est nul et raté. L'homme à ma gauche semble à présent terrorisé par les récriminations permanentes du nouvel entrant. Pour ma part je ne suis pas trop fâché de devoir enfin quitter ce wagon. Dans l'immense débâcle de ce monde, j'ai déjà tant de mal à m'accommoder de mon propre chaos, que je peux me dispenser de devoir subir les bouffées délirantes de parfaits inconnus.
oh yes, this world is sometimes too much to bear just quietly for some....the blurred photo fits very much the description....
RépondreSupprimerUn récit fort bien mené!
RépondreSupprimerLes gens qui parlent seuls et haut m’intriguent toujours dans la mesure où je pense, sans doute à tort, qu'ils ont un trop plein d'eux mêmes à déverser...qu'ont-ils vu, vécu, pas assimilé qui les oblige à le dire et redire? (ceci bien sûr s'ils ne sont ni drogués, ni ivres).
Je t'écris à côté de la cheminée qui ronronne, fin mai aux Baléares; voilà comme tu dirais.
Oh my Kwarkito, I would have been very happy to arrive at my destination and alight from the train :)
RépondreSupprimerOh mon cher Kwarkito, je ne voudrais pas aujourd'hui t'adresser deux mote pour dire que, oui, j'ai bien lu, et puis que oui je signe, j'ai bien reçu mon colis. Mon grand-père a fait les tranchées, ma mère s'est sauvée comme elle a pu en 1940. Mon beau-père, anti-militariste, a "fait" l'Algérie avec TOUT ce que ça peut comporter. Et moi, je suis un garçon sensible - je pense que ce n'est ni une revendication ni un secret -, j'ai défilé avec cette sensibilité dans CE MAI 68 QUI EST A LA FOIS PRESQUE RIEN ET PRESQUE TOUT, on m'a cassé la figure à l'occasion, mais plutôt pour des filles, et j'aurais pu finir dans un ravin, un jour où le conducteur n'était pas fiable. J'ai deux beaux enfants. Eh bien ce que tu dis là, je le tiens pour certain et au moins pour la France : non, il est évident que ce n'est pas le clodo et le bourgeois d'il y a vingt ou trente ans. J'entends ton alerte comme beaucoup l'entendent. Parlant de droite et de gauche, ne me faisant parfois plus comprendre, je tiens pour certain qu'une grosse explosion est proche. J'entends ton texte pour ce qu'il sous-tend. Je n'aurais que mes 60 ans, je me ferais une raison comme un tyrannosaure à la fin du Crétacé. Mais il se trouve que j'ai deux beaux enfants. L'un est un acteur ou réalisateur né, l'autre une harpiste magnifique. Je te dis aussi ici que je me demande s'il est encore temps, comme il y a trois ans, d'écrire comme je le fais à l'imparfait. Je pense qu'on passe soudain à autre chose. Que notre vérité différée va nous tomber dessus. Kwarkito, c'et peut-être pour nous le moment d'être très, très courageux. Je me permets de t'embrasser, ami de métro/RER.
RépondreSupprimerEt ce matin je corrige la faute : "mots" bien sûr et "mote". A se négliger, on perd tout. Quand je pense que c'est un 68tard qui te parle. Mais on avait raison, là ! A toi et en écoutant C. Franck.
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