mardi 28 février 2012

Une petite estampe

Yves Faucheur
Voilà 
il y avait chez Philippe et Dominique cette petite estampe (une lithogravure je crois) d'Yves Faucheur, autrefois décorateur de la compagnie Jacques Fabbri que Philippe avait administrée. Un jour, dans une brocante j'en ai retrouvé un exemplaire que j'ai aussitôt acheté. Je me souviens qu'elle était posée sur une petite table à l'entrée du grand salon de la rue de Vaugirard, à côté d'une de ses toiles : un portrait à l'huile dans le genre naïf de Philippe coiffé d'un chapeau de paille, et vêtu d'une marinière. Etrange tout ce que ce petit tableau abstrait, charrie à présent de sensations de souvenirs et d'images lointaines : le café qu'on buvait dans des mazagran. - je ne savais même pas que ça existait avant de les connaître - les déjeuners du dimanche dans la grande cuisine ensoleillée mitonnés par Philippe avec humour et passion et qui avaient toujours un goût de fête, les repas de midi que préparait Dom pendant la semaine, et où se retrouvaient ses filles de retour du Lycée et leurs copains leurs copines, et bien sûr j'en étais. Je me rappelle aussi la grande table face à la bibliothèque où j'aimais bien consulter l'encyclopédia universalis, les livres d'art, feuilleter les romans inconnus, les vieux programmes de théâtre... La maison du bonheur, c'était la maison du bonheur....

lundi 27 février 2012

Dominique est partie...



Voilà
Avant-hier Dominique est partie dans une autre dimension. Je viens d'apprendre ça brusquement, ce matin. Sans doute était-ce une délivrance, pour elle qui était devenue prisonnière de son corps. Comment la vie a-t-elle pu être si injuste avec une personne si généreuse, si bonne, et tellement faite pour le bonheur ? "Partie en paix et entourée d'amour", m'écrit sa fille. C'est le seul réconfort que je puis trouver pour le moment. Nous nous étions perdus de vue... Tout ce que je lui dois. Tout ce que je lui dois.... S'il n'est qu'une journée dont je devais me souvenir, c'est celle de cet été 1973 où nous étions partis de Châteaudouble dans la petite 4L verte pour aller chercher Agnès à l'aéroport de Nice. Des pan-bagnas avaient été préparés, nous étions passés par le lac de St Cassien où nous avions piqueniqué, un jeune autostoppeur embarqué en cours de route (car elle prenait les autostoppeurs) fut aussi invité à partager notre repas. Et puis l'après midi nous avions visité la fondation Maeght à St Paul de Vence pour y voir l'exposition "le musée imaginaire d'André Malraux", et tout cela avait été comme une révélation pour le jeune homme plutôt inculte que j'étais alors.... Je n'arrive pas à réaliser, même si tout cela était prévisible... J'ai retrouvé une photo avec Philippe et Gérard... C'est à Olivetta, dans une petite trattoria familiale... la dernière excursion ensemble... en famille...  quelque mois avant que nous nous quittions Agnès et moi... La vallée des merveilles.... Dominique doit avoir sur la photo l'âge que j'ai maintenant... Toutes ces années me rattrapent à présent... Le chagrin m'empêche de faire quoi que ce soit.... D'écrire quelque chose à la mesure de cette tristesse qui me submerge et de cette femme délicieuse et attentionnée. Au moins aura-t-elle su avant qu'elle ne s'en aille, ce que représentait pour moi de l'avoir rencontrée ainsi que Philippe, et la réponse qu'elle m'avait alors fait parvenir (ne pouvant plus écrire elle-même) m'avait apaisé. Je l'aimais. Je sais que le souvenir de sa présence continuera de m'accompagner jusqu'à mon dernier souffle car ce qu'il y a de meilleur en moi je le lui dois en partie, à elle, à Philippe qui doit être bien malheureux oui bien malheureux. Mais là pour le moment....

(...)

Les heures passent...Pourquoi pleurer sur ce qui était prévisible et d'une certaine façon souhaitable ? Car il lui est enfin donné le repos auquel sans doute elle aspirait. Elle avait la foi discrète. Elevée dans une famille athée, elle s'était fait baptiser à l'âge de dix sept ans, en une époque où ce n'était pas dans l'air du temps. Mais son catholicisme éclairé, bienveillant, était affranchi des vieux dogmes et des croyances rétrogrades. Elle faisait la part des choses. D'ailleurs elle en parlait peu, même si quelquefois je l'ai entendue s'indigner du conservatisme de l'Eglise en certaines circonstances. C'était une affaire personnelle, qui l'engageait elle et quelque chose de plus haut que la vie. Qu'elle repose en paix. Ce vœu si convenu et dénué de sens pour qui n'a pas eu accès au mystère de la Révélation, je le forme cependant pour elle, souhaitant même pour cette âme si douce et si généreuse être quant à moi dans l'erreur. Quoiqu'il en soit elle sera toujours dans la beauté chatoyante d'un crépuscule, dans le doux parfum des mimosas, dans la chaleur de l'âtre où crépite un feu de bois. Elle sera dans ce qui sourit dans ce qui réchauffe et épanouit. Bienveillante, comme elle le fut un certain été, où dans la grande maison de Provence, elle avait accueilli les amis et amies de ses trois filles. Bienveillante comme toujours elle le fut avec moi.

samedi 25 février 2012

Comme une douceur dans l'air


Voilà
hier soir je suis retourné à la cinémathèque où je ne m'étais plus rendu depuis longtemps. Un peu aussi pour me contraindre à sortir malgré le peu d'envie que j'en ai ces jours-ci. Les jours rallongent, la nuit ne tombe plus à six heures, et rester solitaire entre mes quatre murs me fait parfois un peu honte. Non que je n'ai rien à y faire, mais enfin, il faut se mêler au monde n'est-ce pas ? Un moment j'ai vaguement été tenté de rejoindre une soirée très parisienne où l'on célébrait les vingt cinq ans d'existence d'un théâtre menacé de disparition. C'était là une occasion de réactiver des réseaux (il faut le faire à ce qu'il paraît), mais la perspective de croiser dans un espace enfumé des raseurs vaguement éméchés à l'haleine douteuse et aussi pontifiants qu'egomanes m'a vite découragé. Même si je n'en avais aucune envie particulière, j'ai donc vu "Pour l'amour d'une femme" de Grémillon, avec Micheline Presle et Gaby Morlay, et puis Carette aussi (ah Carette) dans un rôle de bedaud qu'on empêche de boire. Dans une salle pleine de cinéphiles pour la plupart aux anges, comme eux je n'ai pas boudé mon plaisir. D'autant que toute l'action se passe à Ouessant, ce bout de terre qui nourrit encore mes rêves et où je ne suis encore jamais allé en dépit de sa proximité. Au cours du film je me suis souvent demandé quel genre de photos de cadres je serais capable d'y réaliser, songeant que de toute façon la différence se faisait au tirage. A la sortie, j'ai profité de cette première nuit douce et presque printanière de l'année pour rentrer à pied jusqu'à Odéon en longeant les quais de la rive gauche. J'ai pris, sans grande conviction cependant quelques photos de nuit. Depuis le quai de la Tournelle une lumière bleutée illuminant le pont St-Louis a retenu mon attention. Je m'y suis rendu passant par le pont de l'Archevêché où les amoureux, pour se déclarer un amour éternel, ont coutume d'attacher un cadenas sur les rambardes grillagées avant de jeter la clé dans la Seine. Et il y avait cet homme qui lisait - pas très bien - un texte de Nietzsche devant une dizaine de personnes assemblées qui l'écoutaient avec attention, assises par terre. Toutes ces lumières disposées autour de lui étaient du plus bel effet, et j'ai ressenti quelque chose de très doux très paisible dans ce moment. J'ai eu envie de prendre une photo "typiquement parisienne" pensant aussi à celle qui a ensoleillé mes vingt ans dont je sais qu'elle aurait aimé ce personnage. M'a traversé encore le souvenir d'Aguigui Mouna cette figure du quartier latin de ma jeunesse qui circulait uniquement à vélo et jetait parfois des graines aux badauds en leur disant "prenez en de la graine". C'est aussi lui l'auteur de cet aphorisme toujours d'actualité "les mass-media rendent les masses médiocres". Celui-là me semble bien être son continuateur. Ensuite j'ai regagné la rive gauche, improvisant un petit détour par la rue St Jacques. J'éprouvais une grande légèreté dans cette errance, cette flânerie sans but, improductive au regard des critères de l'époque. Je crois qu'elle est là ma vraie nature. Dans la déambulation. J'ai pris ça aussi qui m'a bien plu à l'angle de la rue de la Huchette et de la place du petit pont


et puis cette autre, rue St Jacques, juste parce qu'en plein quartier latin, elle a un petit air New-yorkais, sans doute à cause de la fumée qui s'échappe d'une bouche de chaleur


Finalement, je n'ai pas rien fait, même si l'avenir n'a rien de très réjouissant.

vendredi 24 février 2012

Vieille image même terreur

Menace
Voilà
souvent sa pensée vagabonde vers de sombres latitudes. Pénibles sont ses nuits que traversent parfois de sourdes frayeurs. Il voudrait trouver le repos en ces temps incertains mais ne sait plus à quelle oreille se fier ni vers quel œil se tourner. L'ouïe fait l'huître le regard la taupe. Dire qu'il se sent d'attaque serait peut-être excessif. Entre rêve et ravage, il vertige à bas bruit, témoin résigné de ce monde en sursis qui dans le pressentiment de sa perte contemple encore ses mirages et s'en inquiète.

mercredi 22 février 2012

Clown


Voilà
enfant il se méfiait des clowns. Les clowns, pensait-il, étaient capables de tout. Il en avait une fois vu un botter le cul d'un nain et provoquer de tels éclats de rire dans un auditoire composé de gens si laids qu'il n'avait pu s'empêcher de vomir sur les bas et les escarpins de sa mère qui l'avait aussitôt giflé, et bien sûr il avait pleuré. Les gens alentour l'avaient regardé avec un mélange de moquerie et de dégoût, pendant que sa génitrice, pestant que ces chaussures lui avaient coûté les yeux de la tête essuyait avec son mouchoir à lui, la bile et le fiel qu'il avait rejetés. "Les yeux de la tête" songeait-il en sanglotant "était-il possible qu'il y en eût ailleurs, des yeux, et si oui où donc ?". La question l'avait occupé quelques semaines et puis d'autres complexités avaient accaparé son cogito : par exemple comment se fait-il que l'on souffle sur la soupe pour la refroidir et dans ses mains pour les réchauffer ? Bien des années plus tard, Robert Macabeu fut d’ailleurs rattrapé par la question du souffle puisqu’il mourut un soir de grand froid des suites d'un crise d'asthme près d'un réverbère.
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lundi 20 février 2012

Yesterday's papers

Yesterday's papers

Voilà
au détour d'un couloir une vision inattendue appelle un refrain ancien lui-même chargé d'autres images. Le sourire de Roger Dijoux par exemple, le peintre en bâtiment qui avait prêté et fait découvrir ce disque. Le corps changeait alors, c'était difficile d'accepter cette forme en devenir. Plus tard, D. comme une petite sœur qui sentait bon le musc et le patchouli, secouant sa chevelure prérapahélite en chantant cette chanson. Son sourire et le bruit de ses bracelets. Incapables alors d'imaginer comment une existence peut altérer l'organisme et la conscience au point de nous trahir. Et toutes ces errances solitaires qui ramenaient toujours vers les mêmes libraires ou ces galeries dont le seuil paraissait infranchissable. Aucun adulte en ce temps à qui vraiment parler, ils étaient une autre tribu, et cette solitude rendait bien périlleuse le chemin vers l'autre. L'inquiétude chevillée au corps en permanence... Tout ce présent d'alors déjà si lourd de passé. De la réalité de ce monde enfui, des utopies qui nourrissaient nos espérances, si peu de choses subsistent... D'autres sont apparues auxquelles nous ne songions guère... Who wants yesterday's papers ?

samedi 18 février 2012

Corvidés



Voilà
traversant le cimetière Montparnasse, après quelques emplettes au marché du Boulevard Edgar Quinet j'ai voulu déposer, comme il m'arrive de le faire quelquefois, un petit chou sur la tombe de Gainsbourg, une banane sur celle de Beckett. Ce n'est pas que je sois très en fonds ces temps-ci, mais, honorer ces morts de la façon qui convient à leur mémoire, au moins pour le plaisir qu'ils me donnent encore de les lire ou de les écouter, me paraît juste. Et puis de mes proches voisins, je dois tout de même bien admettre qu'ils comptent parmi les plus fréquentables. J'ai alors aperçu quelques corneilles ou corbeaux — engeance en tout cas particulièrement teigneuse — qui saccageaient des tombes, en renversant les pots dessus posés pour en manger les fleurs. J'ai aussitôt supputé (j'aime bien supputer dans les cimetières) que ces sinistres volailles s'empresseraient de se goinfrer de mes offrandes, et finalement, après leur avoir jeté des cailloux en criant "Nevermore ! Nevermore !!!", je suis reparti avec ma banane et mon chou. 

vendredi 17 février 2012

Retour à Muriseay

Bonheurs de lecture

On disait souvent que les îles de l'Archipel étaient impossibles à dénombrer, bien qu'on en eût recensé plus de dix mille. La mer Centrale avait été entièrement explorée, on en avait dressé les cartes, mais à côté des îles habitées et des plus grandes parmi celles qui ne l'étaient pas, il y avait une multitude d'îlots récifs et affleurements rocheux, dont beaucoup apparaissaient et disparaissaient au gré des marées. Une des particularités anecdotique de l'Archipel du Rêve que l'on enseignait à l'école, et que j'entendis plusieurs fois répéter par les autres passagers, était que les îles atteignaient un tel nombre et étaient si rapprochées les unes des autres que de chaque île on pouvait en apercevoir au moins sept autres... (Christopher Priest in "La fontaine pétrifiante"

mardi 14 février 2012

La tombe de Franz Kafka


Voilà
une curieuse coïncidence. A. me fait parvenir hier soir et sans que je n'en comprenne vraiment la raison, un extrait de "La lettre au père" de Franz Kafka. Or dans les heures qui précèdent je viens tout juste de scanner cette photo prise à Prague durant l'été 86. A l'entrée du cimetière de Straschnitz, des gens vendaient des fruits enveloppés dans des caissettes à pâtisserie. Nous en avions acheté afin d'utiliser faute de kippa, l'emballage pour nous couvrir comme il est d'usage dans un cimetière juif. Que Kafka, dont l'œuvre témoigne d'une singulière solitude, fût enterré dans le même caveau que ses parents, et en particulier avec son père, m'avait à l'époque je m'en souviens, quelque peu perturbé. Deux saisons de suite j'avais joué le spectacle "Rêves de Kafka" et j'étais très ému de me retrouver là. J'ai déposé quelques cailloux sur sa tombe. J'aime cette photo prise par la Primevère. Je ne réalisais pas alors à quel point Pascal était le sosie de Franz... 

lundi 13 février 2012

Son nom de Boghari etc...

 
Voilà
Boghari. La gare de Boghari. Lorsque j'y suis retourné vingt ans après, j'ai pris des photos évidemment. Mais dans l'Algérie socialiste du début des années quatre-vingts, prendre une gare en photo c'était suspect. Un employé des chemins de fer est venu vers moi un peu menaçant. Il voulait saisir ma pellicule, parce que c'était une zone stratégique. Et donc interdiction de s'attarder en pareil endroit. J'ai dû déployer des trésors de diplomatie pour lui expliquer que je photographiais un souvenir d'enfance - ce qui n'est pas simple à faire comprendre - que ce lieu m'avait beaucoup marqué, que quelque chose s'était joué là pour moi et bon j'ai fait le mec ému au bord des larmes. Comme je ne manque pas de disposition pour l'auto-apitoiement, ça a marché. Pourtant ça ne collait pas. Non ça ne collait pas. Ce que je voyais n'était pas conforme au souvenir qui s'était construit dans mon esprit au cours des ans. J'étais déçu. Ce que j'avais en tête, je l'ai finalement retrouvé dans le nord de la Corse, un jour d'été en 86. C'était ça oui vraiment ça : son nom de Boghari dans une autre gare déserte, comme aurait dit la vieille Margot. Et elle aurait ajouté "de retour à Boghari en 82, tu n'as rien vu rien". Tandis que là...



Voilà ce qui est arrivé en 1962, un peu avant ou un peu après les accords d'Evian. La journée avait commencé bizarrement. Ma mère avait pris la 4CV — je me souviens que la plaque d'immatriculation se terminait par K9E — pour aller de Djelfa à Boghari chercher mon père qui s'était absenté quelques jours à Alger pour je ne sais quelle raison. La journée s'annonçait plutôt belle. Un azur sans nuage. Tout se passait normalement sur la route rectiligne jusqu'à ce que ma mère m'ordonne de m'accroupir pour qu'on ne me voie pas. J'ai vu son pied appuyer à fond sur la pédale de l'accélérateur. Je me rappelle d'une odeur de caoutchouc brûlé. Il y avait parait-il une jeep avec le drapeau du FLN, et des résistants qui stoppaient les voitures. Ma mère a franchi le barrage sans s'arrêter. J'ai senti là qu'il s'était produit un événement. Il y avait de la menace dans l'air. Ensuite tout au long de la route je crois qu'elle a redouté de croiser d'autres barrages. Nous sommes arrivés à la gare de Boghari. Un train à vapeur avec des wagons de bois. Des gens qui descendent. Et la personne attendue n'est pas là. La personne qu'on voudrait tant retrouver n'est pas là. Et son absence occupe tout l'espace. C'est pour elle qu'on est venu. Et elle manque. Il ne faut pas poser de question. La mère est folle d'inquiétude. Tout son corps dit à quoi elle pense à ce moment précis. Je ne dois pas montrer que je suis inquiet. Pourtant c'est là que je comprends que mon père peut ne pas revenir, que mon père peut être tué, avoir été tué. Je dois faire comme si je n'existais pas. Plus exactement faire comme si tout cela ne me concernait pas. Être invisible, transparent, absent. Il me reste le souvenir vague de gens qui traversent la voie ferrée après que le train soit reparti. Les herbes entre les rails. Le temps qui commence à tourner à l'orage. Quelques grosses gouttes qui tombent. Ma mère reconnait un homme. Un légionnaire. C'est le légionnaire Anglicker. J'avais dit que j'en parlerais. Un suisse. Lui aussi va à Djelfa. Elle lui demande de nous accompagner. Elle insiste tant, qu'il finit par céder. Je me souviens du retour. Il pleut sans discontinuer. Une pluie abondante, drue, qui ne cesse de frapper sur le capot de la voiture. C'est à peine si l'on voit la route. Le légionnaire Anglicker est à la place du passager. Son pistolet sur les genoux. Il dit qu'il ne faut surtout pas s'arrêter, qu'on ne pourrait pas repartir. Peut-être n'a-t-il pas confiance quand c'est une femme qui conduit. Il y a une excessive tension dans l'habitacle de la voiture. Je suis derrière, Je joue avec un camion rouge. J'essaie de ne pas penser à la réalité. Le problème c'est qu'on est obligé de revenir par la même route. On craint de rencontrer les gens du barrage. Mais bon ils sont comme tout le monde, ils n'ont pas envie de rester sous la pluie, les fellaghas qui pourraient nous égorger. On finira donc par arriver, soulagés. Enfin soulagés, pas tout à fait quand même... Plus tard on comprendra que quelqu'un a oublié de prévenir que mon père ne serait pas au rendez-vous... une sombre histoire de marins danois croisés à Alger.. Ça se trouve il est allé au bordel... Depuis ce temps là, je me sens mal en voiture quand il pleut trop dehors... Est-ce que c'est au retour de ce voyage qu'il m'a offert une floride dinky toys peinte de couleur bronze doré ?


-  Je crois bien oui
-  Tu parles tout seul maintenant ?
-  Ça m'arrive parfois
 

dimanche 12 février 2012

Un déchet


Voilà
Papier chiffonné. Papier souillé peut-être. A côté pas loin carton d'emballage. Quelqu'un la nuit sans doute a dormi. Protégé du vent un peu. Du froid pas vraiment. Quelqu'un parti plus là. Le frère aussi ce matin embarqué dans son train bout du quai. A peine vu le frère. Passé comme courant d'air. Matin froid matin sec sur la dalle. Toujours fait songer à l'Allemagne. Quelque chose d'Allemagne sur la dalle. Absurde idée absurde mais depuis des années tenace. Comprends pas pourquoi. Allemagne y retourner pourquoi pas. Papier chiffonné apparition du matin. Pensées ras du sol. Même pas pensées. Ras du sol ne pas glisser ne pas chuter. La tête qui tourne comme on dit. De plus en plus souvent qui tourne. Tenir le cadre alors. Tenir si ne tourne pas rond. Chiffonné comme papier. Droites, verticales horizontales perpendiculaires ligne de fuites bien comme il faut à l'intérieur du cadre. Assurer. Malaise c'est comme ça qu'on dit malaise ?  De la fuite dans les idées. Tenir. Maison pas loin. Dernière image. Non quand même pas. Quand même pas.

samedi 11 février 2012

Garage Saab


Voilà
ça c’est New-York, c’est vraiment New York j’ai pensé... Il n’y a que New-York qui peut surprendre comme ça...  Ce désordre cet abandon au milieu de la ville étaient si parfaits. C’était comme un décor de cinéma, un film de série Z des années cinquante où tout a coup la vie s’est arrêtée et il ne reste plus qu’un survivant qui erre dans une ville déserte. Walker Evans, Wim Wenders étaient là près de moi ils me chuchotaient «vas y shoote, shoote, elle est pour toi celle là» . C’est vraiment une de mes préférées.

vendredi 10 février 2012

L'Homme et l'Enfant


Voilà
l'homme a accompagné l'enfant jusqu'à son départ, mais au moment où l'enfant lui dit adieu l'homme lui demande de rester encore un peu. Lui dit-il aussi qu'il a besoin de lui ? Je ne me souviens pas, mais je me souviens qu'ils s'étreignent et que cette étreinte est poignante. L'homme sait que l'enfant sera son dernier compagnon, son dernier ami, la dernière personne auprès de laquelle il lui sera possible de se tenir en silence dans le partage et dans la paix. L'enfant va partir tenter sa chance loin vers d'autres pays qu'il croit plus accueillants. L'homme quant à lui, va rentrer demain dans un hôpital pour y mourir. Ils décident de faire un dernier voyage ensemble. C'est un tout petit voyage. Un voyage en autobus dans la nuit. Sur ce plan, ils écoutent des musiciens qui jouent devant eux. Pendant ce temps derrière la révolution s'est endormie et le médiocre petit contrôleur est affairé à ses comptes sans rien entendre, sans même être capable de prêter attention à la beauté qui, à défaut de sauver le monde, contribue à le rendre un peu plus supportable pour ceux qui consentent à se laisser toucher par elle. 

jeudi 9 février 2012

Le dompteur de bulles

Bubbles

Voilà
je peux rester des heures à observer le dompteur de bulles, à m'émerveiller de son adresse et de sa concentration. Et puis elles me fascinent les bulles, ce moment surtout où elles se constituent et prennent des formes parfois très étranges. Leur irisation, pour peu qu'il y ait du soleil, me réjouit. C'est si éphémère, si fragile, cela dure à peine quelques secondes, cela n'existait pas cela n'est déjà plus. Mais durant un bref instant, c'est advenu, c'est demeuré là, en suspension, comme un rêve, une illusion furtive, un bonheur entrevu. Incertitude légère et tremblante qui dit le charme de l'apparition aussitôt vouée à l'oubli. (Linked with tuesday's treasures)

mardi 7 février 2012

Une bulle



Voilà
cette bulle en train d'éclater évoque une sorte de fantôme, d'ectoplasme translucide. Ce qui me plaît ici, c'est l'irruption de cette forme infiniment complexe dans une scène banale et quotidienne. Et le paradoxe aussi de ces gens qui sur l'écran de leur smartphone regardent une image sans savoir qu'eux aussi, à cet instant précis, s'inscrivent dans une autre. (Linked with the weekend in black an white)

samedi 4 février 2012

Le Vicks, l'éternité et un jour


Voilà
au cours de cette nuit de fièvre et d'insomnie (épuisé je me suis peut-être couché trop tôt), j'ai réalisé - mais ce n'est là, évidemment pas la seule trouvaille -, qu'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours connu le Vicks. Le Vicks Vaporub (ah! ah! le jeu de mot). C'est peut-être ça, la substance qui me rapproche le plus de mon enfance, ce mélange de camphre de térébenthine d'eucalyptus et de thymol, dont on dit aujourd'hui qu'il peut être dangereux même pour les adultes. Je m'en fous. Aussi longtemps que je serai vivant, je continuerai à m'en badigeonner le thorax, à m'en mettre sur le front pour dégager les sinus, tout en veillant à ne pas me toucher le gland ou les paupières - à moins que mon aptitude au plaisir soit tellement émoussée qu'il me faille dans la douleur y  trouver un substitut ou un surcroît. Et s'il advenait que ma pensée en vînt à jouer les filles de l'air, j'aimerais qu'on me fasse alors respirer du vicks, juste pour agrémenter mon gâtisme de quelque réminiscences encore enfouies. Eh oui ! je n'ai que ça moi, je n'ai pas souvenir d'une maison qui sent le lait chaud et le jasmin humide comme le dit l'un des personnages de "l'Eternité et un jour". Ce film absolument envoûtant de Théo Angelopoulos, je ne l'avais jamais vu. Je l'ai donc regardé cette nuit, en quelques sorte, de l'autre côté de moi et, bien qu'éternuant et me mouchant souvent, dans un état intermédiaire où je n'ai cessé de stagner. J'étais parfois le corps qui n'obéit plus et dont le contour s'évanouit dans le miroir et parfois je devenais une ombre pillée par le murmure de ces voix étrangères. J'étais cet homme en gabardine errant parmi des paysages qui sont comme autant de questions, et qui se demande pourquoi il faut mourir en silence partagé entre douleur et désir. J'étais celui qui accompagne l'enfant (mais qui accompagne qui ?) jusqu'à une certaine frontière froide et terrifiante....


... et qui au détour d'une phrase raconte l'angoisse muette qui souvent me saisit lorsque je songe à toutes ces années passées.

mercredi 1 février 2012

Juste un geste

Voilà
ce geste si délicat, l'autre soir au théâtre, de ma voisine assise à ma gauche qui, parce que la spectatrice à côté d'elle se penchait trop en avant, l'empêchant ainsi de voir - nous étions en bout de rangée - lui a demandé, posant brièvement ses mains sur ses épaules, si elle pouvait se reculer. Et comme c'était adressé avec tact, avec une grâce si évidente, sans arrière pensée ni agressivité, la femme ensuite a veillé tout au long de la représentation à ne pas recommencer. J'aurais aimé moi aussi être pris en faute, juste pour ce toucher fugitif aussi léger que bienveillant.