Voilà
hier soir je suis retourné à la cinémathèque où je ne m'étais plus rendu depuis longtemps. Un peu aussi pour me contraindre à sortir malgré le peu d'envie que j'en ai ces jours-ci. Les jours rallongent, la nuit ne tombe plus à six heures, et rester solitaire entre mes quatre murs me fait parfois un peu honte. Non que je n'ai rien à y faire, mais enfin, il faut se mêler au monde n'est-ce pas ? Un moment j'ai vaguement été tenté de rejoindre une soirée très parisienne où l'on célébrait les vingt cinq ans d'existence d'un théâtre menacé de disparition. C'était là une occasion de réactiver des réseaux (il faut le faire à ce qu'il paraît), mais la perspective de croiser dans un espace enfumé des raseurs vaguement éméchés à l'haleine douteuse et aussi pontifiants qu'egomanes m'a vite découragé. Même si je n'en avais aucune envie particulière, j'ai donc vu "Pour l'amour d'une femme" de Grémillon, avec Micheline Presle et Gaby Morlay, et puis Carette aussi (ah Carette) dans un rôle de bedaud qu'on empêche de boire. Dans une salle pleine de cinéphiles pour la plupart aux anges, comme eux je n'ai pas boudé mon plaisir. D'autant que toute l'action se passe à Ouessant, ce bout de terre qui nourrit encore mes rêves et où je ne suis encore jamais allé en dépit de sa proximité. Au cours du film je me suis souvent demandé quel genre de photos de cadres je serais capable d'y réaliser, songeant que de toute façon la différence se faisait au tirage. A la sortie, j'ai profité de cette première nuit douce et presque printanière de l'année pour rentrer à pied jusqu'à Odéon en longeant les quais de la rive gauche. J'ai pris, sans grande conviction cependant quelques photos de nuit. Depuis le quai de la Tournelle une lumière bleutée illuminant le pont St-Louis a retenu mon attention. Je m'y suis rendu passant par le pont de l'Archevêché où les amoureux, pour se déclarer un amour éternel, ont coutume d'attacher un cadenas sur les rambardes grillagées avant de jeter la clé dans la Seine. Et il y avait cet homme qui lisait - pas très bien - un texte de Nietzsche devant une dizaine de personnes assemblées qui l'écoutaient avec attention, assises par terre. Toutes ces lumières disposées autour de lui étaient du plus bel effet, et j'ai ressenti quelque chose de très doux très paisible dans ce moment. J'ai eu envie de prendre une photo "typiquement parisienne" pensant aussi à celle qui a ensoleillé mes vingt ans dont je sais qu'elle aurait aimé ce personnage. M'a traversé encore le souvenir d'Aguigui Mouna cette figure du quartier latin de ma jeunesse qui circulait uniquement à vélo et jetait parfois des graines aux badauds en leur disant "prenez en de la graine". C'est aussi lui l'auteur de cet aphorisme toujours d'actualité "les mass-media rendent les masses médiocres". Celui-là me semble bien être son continuateur. Ensuite j'ai regagné la rive gauche, improvisant un petit détour par la rue St Jacques. J'éprouvais une grande légèreté dans cette errance, cette flânerie sans but, improductive au regard des critères de l'époque. Je crois qu'elle est là ma vraie nature. Dans la déambulation. J'ai pris ça aussi qui m'a bien plu à l'angle de la rue de la Huchette et de la place du petit pont
et puis cette autre, rue St Jacques, juste parce qu'en plein quartier latin, elle a un petit air New-yorkais, sans doute à cause de la fumée qui s'échappe d'une bouche de chaleur
Finalement, je n'ai pas rien fait, même si l'avenir n'a rien de très réjouissant.