lundi 18 janvier 2021

Culture et Barbarie


Voilà,
dès lors que survient un attentat perpétré par des fanatiques se réclamant de l’islam — généralement, des crétins décérébrés manipulés par des fanatiques religieux sectaires —  il y a toujours un clampin qui se pique d'un discours opposant la barbarie à la culture. Ça me gonfle un tantinet. Les mêmes genres de connards existent chez les juifs les bouddhistes et les chrétiens. Ils sont tout aussi nocifs et pareillement cons. D’où ça sort cette idée ? Il me semble au contraire que la culture et la barbarie ont toujours fait bon ménage. Les exemples sont légions. Heidegger s'est très bien accommodé du nazisme. On faisait jouer aux déportés de la musique classique allemande à l'entrée de chambres à gaz pour accompagner ceux qui allaient y trouver la mort. Et encore, les nazis font, a posteriori, figures d'enfants de chœur quand on connaît le raffinement dans la cruauté dont les japonais, à la même époque, firent preuve en Mandchourie. Le Japon n'est pas une nation acculturée à ma connaissance. Je ne parle pas de toutes les horreurs commises au nom du christianisme et de la civilisation sur à peu près tous les continents. Et le peuple qui a produit des génies comme Dostoievski, Tolstoï, Tchekhov, Borodine, Tchaikovski, Rachmaninov, s'est, lors de la période communiste accommodé d'une tyrannie qui ne relevait pas exactement de l'idée qu'on se fait d'un comportement civilisé. Je ne parle même pas du gouvernement chinois dont on sait le sort qu'il réserve à ses opposants.
Évidemment, constater cela ne constitue en rien, une excuse quelconque pour des horreurs récentes.
Il faudrait aussi se rappeler bien des civilisations se fondent sur la barbarie. La judéo-chrétienne, comme les autres. Combien d'abominations décrites dans la bible, combien d'horreurs dans l'Iliade ?  Attaché au char d'Achille, le corps d'Hector traîné autour des remparts, constitue un bien joli moment d'ignominie — certes mise en poésie — qu'il me fut donné de traduire en cinquième alors que je n'avais que onze ans. Alexandre Vialatte dans une de ses chroniques rappelle que "à Rome les spectacles du cirque ne soulevaient aucune objection.(...) Pline, qui était l'homme le plus civilisé de l'époque et le plus scrupuleux aussi, trouvait à ces massacres un sens éducatif : ils habituaient les spectateurs au mépris stoïque de la vie ; mais il s'agissait de celle des autres". Quelle illusion d'imaginer que l'éducation et la culture seraient une garantie de nous préserver de la barbarie. D'ailleurs toutes les civilisations ont maintenu un certain attrait pour la barbarie.
Nos musées et même nos églises sont remplis de scènes horribles génialement peintes ou magnifiquement sculptées, et l'on pourrait multiplier les exemples à l'envi. Et que dire de l'idée républicaine telle qu'elle s'est développée en Europe ? Ne s'est elle pas construite sur quelques massacres et une longue période de terreur commandités par des gens qui connaissaient la philosophes des Lumières et s'étaient entichés de la Grèce antique ? Tout ça pour qu'advienne un général ivre de pouvoir qui se proclama Empereur, et se doubla vite d'un criminel pour exporter sa vision de la civilisation. Mais consolons nous les rois qui le précédèrent n'étaient guère plus vertueux. Ne parlons pas des européens ayant migré en Amérique du Nord et qui ont bâti une nation grâce à l'importation d'esclaves africains et au génocide des populations indiennes.
Croire que que l'éducation et la culture constituent une barrière me paraît bien naïf. Nos technocrates, qui ont grandi dans de belles familles cultivées, fréquenté les grandes écoles, ne sont pas avares d'actes barbares, non plus. Mais c'est une barbarie plus moderne plus sophistiquée qui s'exerce par procuration et demeure impunie. Empoisonner les travailleurs de l'amiante en connaissance de cause, favoriser l'épandage de produits hautement cancérigènes pour ceux qui les utilisent, polluer les nappes phréatiques au seul nom du profit, c'est une barbarie qui s'érige en norme et parfois même en morale : "nous préservons l'emploi". Elle procède aussi d'une croyance fanatique : celle de l'ultralibéralisme. Notre barbarie à nous est d'une autre nature. Elle s'accommode de l'indifférence autant que du sarcasme. 
Nombre d'activités accomplies quotidiennement et qui ne semblent pas prêter à conséquence ne sont possibles que grâce à l'exploitation de nouveaux esclaves rendus tels pour satisfaire nos besoins. On bouffe des tomates collectées dans les Pouilles par des clandestins privés de droits et corvéables à merci. Le cacao cueilli par des enfants exploités en Côte d'Ivoire utilisé pour confectionner de la crème au chocolat dont raffolent nos bambins, nous l'achetons quand même. En République démocratique du Congo, des enfants âgés de 10 ans à peine, s’enfouissent dans des trous guère plus larges que leur corps. Ils y passent des heures, à déterrer de minuscules morceaux de cobalt pour en faire des batteries de téléphone portable. Le tout pour 2 dollars par jour. Offrir un diamant
 probablement extrait dans une mine de Centrafrique conquise grâce à la corruption, des guerres, des massacres, avec leurs lots de mains coupées et d'enfants soldats sacrifiés, passe pour un geste qui fait toujours plaisir à qui le reçoit, paraît-il. 
Remplir de carburant le réservoir de sa voiture est un acte anodin qui suscite peu de questions. Souvent pourtant ce carburant est extrait dans un pays africain ou au Moyen-Orient, et constitue une manière de financer des familles et des gouvernements qui, avec cet argent, gardent des millions d'êtres humains dans l'asservissement et la pauvreté. 
Faut-il aussi parler de toutes ces personnes que nous forçons à émigrer, à mourir, à s'appauvrir, puisque, avec notre confort, nous avons réchauffé la terre, causant des désertification et des inondations.
Et moi aussi je suis barbare. Parce que pour être honnête, j'y pense et puis j'oublie. Je sais que ça existe mais qu'y puis-je ? Bien sûr je signerai des pétitions, je pourrais apposer le petit émoticône qui fait Grrr au bas d'une notifications facebook. Mais force m'est d'admettre ma complicité, et que somme toute ne cela me préoccupe pas tant que ça, en tout cas beaucoup moins que la précarité grandissante dans laquelle je me trouve, et l'incertitude où me tient l'approche de la vieillesse. Tout au plus puis je, avec un cynisme désabusé, m'autoriser le luxe de ces contradictions, faute de mieux. (Linked with our world tuesday)

5 commentaires:

  1. Great post! Reminders like this are necessary as a reminder of history.

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  2. I seem to recall that Christian Crusaders wiped out whole towns of Coptic Christians on their way to the Holy Land. I say all religions which try to foist their beliefs on others should be exiled to the dark side of the moon.

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  3. Absolument d'accord avec ton texte, l'idée est probablement répandue par ceux qui commandent les barbaries, pour se laver les mains...

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  4. nous y pensons et nous oublions. et chaque fois que j'y (re)pense, je ne vois plus comment tenter de me révolter comme lorsque, jeune étudiant, je gueulais dans les rues et les amphis "une seule solution, la Révolution !", slogan bien naïf, slogan illusoire.

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