lundi 16 janvier 2017

Blue Monday


Voilà,
A quelques jours de l'investiture de Donald Trump, et à alors que paraissent dans le Times britannique le point de vue du président Américain sur l'Europe la brillante chronique de Michel Schneider sur France Culture ce lundi (surnommé par les anglo-saxons "Blue Monday" parce que selon des études le troisième lundi de janvier serait le jour le plus déprimant de l'année) semble plus que jamais s'imposer : 
"Cette semaine, la couverture du New Yorker montrera Trump, 45e président des Etats-Unis comme un gamin dans une voiture électrique lancé dans un tour de manège. Sur ce thème Michelle Obama a attaqué le successeur de son mari, en disant qu'il fallait "un adulte à la Maison Blanche". L'opinion éclairée ne comprend toujours pas comment le petit garçon a réussi à faire démarrer la voiture familiale et à traverser l'Amérique "coast to coast" . Mais dans quatre jours Donald Trump sera au volant des Etats-Désunis d'Amérique, avançant à grands coups de klaxon. Nous sommes bien du côté de Freud. Du petit pervers polymorphe qui somnole en chacun de nous. De l'enfant-roi que l'éducation des pulsions doit normalement amener à composer avec la réalité, et à différer la satisfaction de ses désirs. Mais Trump n'est pas un président normal. Et il n'est plus un enfant. C'est un adulte rusé, un fin tacticien, un prédateur conscient. Un fou ? Ce ne serait pas une première dans l'Histoire, américaine ou autre, qu'un fou accède au pouvoir suprême. La folie politique est toujours prête à resurgir dans les périodes de crise. Man of the year selon Time Magazine. Ou comme l'appelle le New York Times, tout en le qualifiant de demi-fasciste, ce qui n'est pas exclusif mais pas synonyme , Madman de l'année ? Trump, il est vrai, malade de medias, sut manier la télé-réalité comme les personnages de la série Madmen la publicité. Mais de quelle madness s'agit-il ? A voir Trump menacer de mort sa rivale et pointer son index comme une arme sur tout ce qui ne bouge pas dans son sens, à l'entendre hacher son propos d'injures et de propos scabreux, il semble que l'on soit plutôt dans le registre de la psychose que de la névrose banale. Apparemment, pas de refoulement, peu de surmoi, beaucoup de ça et énormément de moi. Paranoïaque, narcissique extrême, atteint de TDAH (trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité), borderline, psychopathe dangereux, sociopathe avéré, schizophrène compensé, bipolaire ? Les diagnostics fusent. A lui tout seul un vrai DSM5 (Manuel statistique des troubles mentaux). Malade sexuel, l'homme aux idées politiques aussi indéfinissables que la couleur et la coupe de ses cheveux, dont on se demande, si, des cheveux comme des idées, il en a vraiment, tant il donne l'impression de ne pas être là, d'être virtuel, tel un hologramme en 3D ?
La psychanalyse de ceux qui ne s'allongent pas sur un divan est un exercice périlleux et souvent illégitime. Ne psychiatrisons pas. Pour comprendre "le monstre ", plutôt que de fouiller l'étiologie sexuelle de ses symptômes et de traquer ce qui a pu se passer - ou non - entre lui et des prostituées moscovites, mieux vaut interroger l'inconscient collectif qu'il incarne désormais. J'avoue sur ce point que je ne comprend pas que les élites ne comprennent pas ce qui a permis à Trump d'arriver au pouvoir. L'été dernier, j'ai eu l'occasion d'interroger sur l'enjeu de l'élection et l'avenir de l'Amérique en crise quelques écrivains américains. Richard Ford, Rick Moody, Salman Rushdie, Russell Banks, Colum McCann, John Irving, Jay McInerney. Tous confiaient leur dégoût et leur peur de la fracture sociale, civile, matérielle - et certains n'hésitaient pas à dire, raciale - dont l'élection fut ensuite le révélateur. Tous excluaient la victoire de Trump. Trop fou. Trop bête. Ils avaient oublié la mise en garde de Raymond Aron : le plus souvent ce n'est pas la raison qui s'accomplit dans l'histoire, mais la bêtise. Ou la folie. Tous le disaient malade mental, mais aucun ne percevait que le déni du réel, manifeste chez Trump, était symétrique de celui latent chez Hilary Clinton. Business as usual¸ elle ne voyait pas le problème. Et lui voulait lui apporter des solutions aberrantes. La folie, dit Freud, n'est pas de nier la réalité, car c'est ce que nous faisons tous, névrosés fous ou pervers. La folie commence quand on reconstruit une réalité à la place de celle qu'on ne veut pas connaître et reconnaître. Cela s'appelle un délire mégalomaniaque ou en politique un programme démagogique 
Lorsqu'on regarde les foules acclamant Hitler, à qui l'humoriste Louis C. K. et le romancier Jerome Charyn comparaient Trump, on se demande un peu naïvement : mais comment tous ces gens ont pu ne pas voir qu'ils admiraient un fou ? Et si au contraire, ils la voyaient, cette folie, l'enviaient, la désiraient? Et que ça les faisait jouir par procuration de l'entendre dire tout haut les horreurs que tout bas ils rêvaient de faire ? Trump n'est sans doute pas plus raciste que la majorité des Américains blancs. Pas plus indifférent au sort de la planète et à la crise de l'environnement que la majorité des électeurs démocrates. Pas plus intoxiqué aux médias sociaux que la plupart de nos contemporains. A peine plus menteur que la généralité des hommes politiques occidentaux. La folie de Trump n'est-elle que l'image kitch ou l'écho bruyant de la folie banale et sourde de l'Amérique ? Avec 19 millions d'abonnés Facebook - après tout ce n'est jamais que deux fois plus que Kim Kardashian - Trump est l'incarnation des fantasmes américains 
Les sondages qu'on dit s'être trompés ne se trompent pas. Ils mesurent nos intentions conscientes et nos pulsions avouables. Le vote, lui, exprime à loisir dans le secret de l'isoloir l'inconscient et l'inavouable. L'inconscient, c'est ce qui nous fait faire ou dire ce qu'il ne faudrait pas. Ce qui nous amène à méconnaître nos intérêts réels et à les sacrifier à nos idéaux imaginaires. Ce qui nous pousse à faire le mal et à faire du mal, aux autres et à nous-mêmes. Dans l'inconscient, nous sommes tous plus ou moins racistes, pleins de haine pour le voisin, de peur face à notre semblable comme à notre dissemblable. Narcissisme phallique des mâles, admirant en Trump un pénis sur pattes, stupide et fier de l'être; misogynie inavouée chez nombre de femmes; admiration du pauvre pour l'escroc riche qu'il n'a pas eu les moyens d'être; attirance pour le mal; soumission masochiste à une autorité sans frein; goût pour les mots et les choses sales; désir de détruire un objet afin que l'autre ne s'en empare pas; sadisme pollueur anti-environnement; crainte d'être démographiquement minoritaire chez soi: tous ces traits sont bien partagés. Ils dorment dans le cerveau reptilien que l'éducation et la démocratie n'ont que peu civilisé. La politique n'est pas d'abord affaire de choix conscients, mais d'impulsions et d'aspirations inconscientes. La réalité compte moins que les images, la raison que les passions, les idées que les idéaux. On n'élit pas un dirigeant pour ce qu'il promet de faire, et fera peut-être, mais pour ce qu'il est. Ce qu'il représente pour l'inconscient collectif. Aujourd'hui, enfants tout puissants, la moitié des électeurs américains lance à l'autre et au monde: je vous emmerde. Trump représente la part sombre d'eux-même, leur image rêvée. Trump leur ment? Trump les trompe? Certes, mais s'il leur plaît à eux d'être trompés ? Pascal nous met en garde. Considérons tous avec quelle allégresse nous embarquons dans la nef des fous. Ecoutons-le: "Pour être aimés de nous, les puissants évitent de nous rendre un office qu’on sait nous être désagréable : on nous traite comme nous voulons être traités. Nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on nous trompe. 
Les électeurs de Trump n'ont pas été trompés. Reste à savoir si lui-même ne se trompe pas sur ce qu'il pourra faire. Il annonce qu'il va supprimer les sanctions anti-Poutine et qu'il veut non seulement garder Guantanamo, mais le remplir à pleins bords. Son conseiller pour la sécurité nationale Mike Flynn recommande aux femmes de renoncer au pouvoir et de ne penser qu'à leurs robes, leurs talons hauts et leur maquillage. Malgré ces propos, certains espèrent que Trump, confronté à la réalité du pouvoir, devienne peu à peu un névrosé ordinaire, quelqu'un qui ne fait pas ce qu'il dit. Parce qu'il ne le veut pas vraiment ou ne le peut pas du tout. Un velléitaire qui n'avait pas de vrai désir de changer les choses, ni les moyens de réaliser ses délires. 
Souhaitons que l'enfant au volant de la première puissance du monde, confronté à des routes difficiles et à un code bornant de règles et de contraintes le narcissisme phallique des conducteurs soit contraint à la prudence. Mais il semble exclu que Trump devienne un président normal et abandonne le langage paranoïaque : moi la vérité je parle, pour celui du névrosé qui ne sait pas ce qu'il dit. Regardons-le tel qu'il est, un roi du divertissement, qui même montré nu, ne connaît pas ce qui nous retient souvent de mal faire: la honte. Face à son narcissisme de mort, espérons seulement que le narcissisme de vie qui anime la démocratie américaine - Démocrates et Républicains confondus - finisse par l'arrêter comme la police arrête un chauffard même s'il a son permis, avant qu'il y ait trop de dégâts. Cela s'appelle impeachment . "Le réel, c'est l'impossible", disait Lacan. Trump va s'y cogner, et vite."

3 commentaires:

  1. Gadzooks! I had nightmares enough! Or, as you said, GLOOPS. Maybe the powers that be figure that it's easier to impeach him after his inauguration than to keep him from being inaugurated. My head hurts.

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  2. Merci et bravo pour ce texte - grand "éditorial". Est-ce que j'arrive à m'exprimer clairement si je dis sentir que l'intronisation de Trump (et malgré ce qu'on peut dire sur les failles du mode électoral, ou l'implication de la Russie etc.) est presque en elle-même un "après Trump" ? La surprise laisse place à une stupeur, l'accident à l'état de choc.

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  3. thank you for speaking out loud and dissecting this nightmare

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