dimanche 20 octobre 2013

Port-Vendres et quelques souvenirs

Port-Vendres, 16 Janvier 1991
Voilà,
cette nuit j'ai confusément repensé à Port-Vendres, me rappelant que j'y étais venu la première fois  en mai 1962 au retour d'Algérie, mais je n'en avais pas conservé beaucoup de traces dans ma mémoire. Mes parents avaient espéré y trouver le containeur (ils disaient alors "le cadre du déménagement") où tous leurs biens étaient entreposés. Malgré leur déception de n'en trouver nulle trace, ils avaient gardé de cet endroit un excellent souvenir, et souvent "Port-Vendres" était revenu dans leurs conversations. Ils évoquaient la possibilité de se retirer lors de la retraite, dans ce port selon eux paisible et paradisiaque. Bien des années plus tard, travaillant dans la région, j'y étais repassé, et en effet j'avais trouvé l'endroit très doux, quoique le ciel fut ce jour là bien gris et l'atmosphère très mélancolique. C'était le dimanche 16 janvier 1991, la veille de l'opération "Desert Storm" visant à libérer le Koweit de l'occupation irakienne (j'ai déjà évoqué cela dans une précédente publication). On ne savait alors comment cette guerre pourrait dégénérer et je craignais comme beaucoup d'autres qu'elle ne se transforme en un conflit mondial. Je trouvais donc juste de revenir à la veille d'une guerre en cet endroit où je m'étais trouvé au lendemain d'une autre. Le seul restaurant ouvert était bondé de curistes venus se soigner dans une station des Pyrénées Orientales (Le Boulou peut-être) et qui profitaient de leur dimanche pour se rendre sur la côte. Il y avait là beaucoup d'anciens déportés, et comme toutes les tables étaient occupées la serveuse m'avait proposé de manger en face de l'un d'eux et j'avais trouvé beaucoup de plaisir à sa conversation. Au cours de notre repas un voisin de tablée, ayant remarqué son numéro tatoué sur le poignet, était venu lui demander où il avait été détenu. Mon hôte lui avait suggéré de le retrouver quand nous aurions fini de manger, et c'était en effet ce qui s'était passé. J'avais alors remarqué ce geste affectueux que mon hôte de table avait eu vis-à-vis de son interlocuteur, cette façon presque tendre de poser sa main sur son bras, ce signe de fraternité et de solidarité. Et aussitôt était remontée en moi le sentiment de honte éprouvé quand, adolescent, j'entendais ma mère parler d'un de ses collègues de travail, qu'elle trouvait incompétent, inefficace et qui d'après elle n'était là que par la faveur de son supérieur hiérarchique qui l'assurait de sa protection au motif qu'ils s'étaient connus à Mauthausen. Et comme plusieurs autres personnes de cette administration étaient dans le même cas, j'entendais alors souvent la mère récriminer contre ce qu'elle désignait comme "la mafia de Mauthausen". Bien sûr je m'étais renseigné sur ce camp, et j'avais alors trouvé indécent que l'on puisse associer le nom de ce camp à celui de mafia, que l'on puisse traiter des gens qui avaient survécu à l'horreur et à l'humiliation de "mafieux" juste parce qu'ils se rendaient service. Il y avait là quelque chose de tellement obscène dans l'association de ces deux mots qui dévoilait tant de stupidité de bêtise et de mesquinerie, que je ne pouvais alors éprouver pour celle qui s'exprimait ainsi, que dégoût et aversion au point de regretter d'être né de ça, d'un être capable de formuler de si répugnantes pensées.

1 commentaire:

  1. Pour commenter un tel message, il faut vraiment l'avoir bien vu et lu, et puis oser. Je ne me risque pas à cela. Il se trouve que je pleure, à cause d'une association peu probante peut-être. Le plus grand ami de ma vie est mort après que nous avons vu à Casablanca sa maison natale. (Un fait brut). Et mon autre meilleur ami s'était rageusement résolu à "survivre à sa mère" : il est sorti le dernier de l'hosto de Toulouse en 2001 après l'explosi d'AZF, parce qu'il est remonté chercher un livre. Sa mère mourut le même jour, il lui avait survécu. Voilà, comme tu dis si sagement, voilà, des choses qui ne s'inventent pas, qui entretiennent à mon sens un lien ténu, dont on a besoin de parler, que je ne sais pas photographier. Ces "plaintes" sont le prix de nos belles journées, alors celle qui vient, je te la souhaite belle.

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