Voilà
Ailleurs donc. Il faut y aller voir, puisque l'amie qui m'a fait découvrir
ce documentaire m'explique que je me fourvoie et que pour sa part elle y trouve tout autre chose. Elle sait que cette femme qui fume beaucoup dans ce film est morte jeune (trois ans après le tournage) des suites d'une embolie liée à une insuffisance respiratoire décelée dès son enfance. Alors évidemment ce qui la touche, c'est aussi la vision d'une personne (vraisemblablement plutôt suicidaire en tout cas, dans le déni du mal qui la ronge) lentement travaillée par la mort, et les propos qu'elle entend sont forcément passés au filtre des informations dont elle dispose. Je fais des recherches. J'apprends que la photographe est aussi née bilingue, et qu'elle en serait venue à perdre sa langue maternelle, jusqu'à la confondre avec l'anglais
. Est-ce cela qui explique l'étrangeté de ce français tel qu'il s'énonce dans le documentaire et qui, de prime abord, m'apparaît comme un marqueur social ? Je note aussi que, durant les trois dernières années de sa vie, elle a tenu
un journal. D'après les extraits que j'en lis il me semble d'une qualité littéraire incontestable. L'écriture en est aussi novatrice que ses photos. Pourtant regardant de nouveau le film de Jean Eustache qui s'appelle donc
"Les photos d'Alix", Le film aurait plutôt du s'intituler "Alix et ses photos", car malgré la petite entourloupe que représente le décalage entre les images et leur commentaire, et qui pour son auteur constitue sans doute la trouvaille du film - d'ailleurs à ce sujet on peut se demander si l'idée préexistait avant, ou si cela s'est inventé au montage (de même que pour Alix Cloé Roubaud la phase la plus importante du travail était le tirage) -, malgré cette astuce donc, ce qui prend toute la place dans l'espace du film c'est cette femme, sans doute fascinante pour le réalisateur, et non les images dont elle parle. Fasciner c'est au sens étymologique, non seulement charmer mais jeter un sort. Et tout se passe comme si le réalisateur n'était parvenu à maîtriser son sujet (les photos), et s'était laissé déborder par "l'interprétation" (au sens du jeu) de la photographe, comme si - et cette anomalie est troublante - lui avaient échappé toutes les connotations (je reprends à dessein un terme très en vogue à l'époque) qu'une personnalité singulière et sans doute plus complexe qu'elle n'y apparaît ne manque pas de suggérer. L'artiste, dans l'espace et le temps du film, se trouve donc ainsi réduite à la caricature d'une représentation sociale. On dirait presque un personnage à la Rohmer. C'est d'autant plus surprenant que deux auparavant, dans "Une sale histoire", Jean Eustache filme l'écart qui existe entre un récit rapporté par celui qui l'a vécu, et le même récit raconté par un comédien, interrogeant ainsi avec finesse ces notions de présence et d'interprétation et montrant en quoi elle contribuent à modifier la compréhension d'un événement.