mercredi 14 septembre 2011

Prométhée


Voilà
elle tient à ça la difficulté d'être un homme de ce temps, au fait qu'il est aujourd'hui techniquement possible d'accumuler à la seconde un nombre incroyable d'informations, concernant les champs les plus divers et les lieux les plus lointains sans que notre intelligence ne soit pour autant en mesure d'agir en conséquence. Trop de déterminants cachés rendent caduque une décision, à tout le moins un point de vue souverain. Là est peut-être la dimension tragique de notre époque : nous ne pouvons intervenir immédiatement sur ce que nous voyons et sur ce que nous découvrons. Tout au plus avons nous la possibilité de nous indigner, sans que cela change grand chose. Le retard est devenu notre condition et lorsque nous entrevoyons la possibilité d'agir, le temps que nous avons pris pour analyser l'information, nous a distrait de ce qui était en train de survenir. L'information a changé de nature, s'est transformée en un événement dont l'enchevêtrement de complexités nous échappe, de sorte que, perpétuellement pris de vitesse, nous sommes pour ainsi dire irrémédiablement conduits à envisager des solutions, échafauder des concepts sur des hypothèses qui n'ont déjà plus cours.  Le génie d'Eschyle est d'avoir subodoré cela. Pour lui la connaissance, le feu porté aux hommes par Prométhée, est la promesse d'un embrasement dévastateur. Car le feu se propage plus vite que l'intelligence. La folie contemporaine tient sûrement au fait que l'espèce a généré un agencement de systèmes et de modèles qui réduit et parfois nie la place de l'homme dans son dispositif. Non seulement de l'homme mais de tout ce qui est vivant autour de lui. Notre conscience de la réalité s'est si profondément altérée que nous aspirons parfois à nous détourner du savoir, à retourner vers des temps obscurs où l'on remettait son sort à la volonté d'une divinité suprême qui nous déchargeait du poids de notre responsabilité. Et peut-être parfois même nous prenons nous à rêver de temps plus lointains, ceux d'avant l'ubris - ainsi les Grecs ont-ils nommé la démesure humaine consistant à vouloir transgresser ou balayer les lois naturelles - où, encore animaux, nous ne faisions qu'un avec notre milieu, et obéissions docilement à sa Loi.

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